Russie - Politique

Le bilan affligeant du ministre russe reconduit

Vladimir Medinsky a été renouvelé au ministère de la Culture. Dans un climat de plus en plus répressif en Russie, la politique culturelle se replie sur le conservatisme.

Le Ministre de la Culture russe Vladimir Medinsky (ici à droite, en conversation avec Vladimir Poutine)
Le Ministre de la Culture russe Vladimir Medinsky (ici à droite, en conversation avec Vladimir Poutine)

Moscou. Vladimir Medinsky, le ministre de la Culture à la fois le plus impopulaire dans le milieu culturel et ayant conservé le plus longtemps cette fonction depuis la disparition de l’URSS, a été reconduit dans ses fonctions le 18 mai. Immédiatement après son investiture le 7 mai, le président Poutine a signé un oukase relatif aux « intérêts nationaux et […] stratégies de développement de la Fédération russe sur la période allant jusqu’à 2024 » – c’est-à-dire jusqu’à la fin de son quatrième mandat. Un oukase dont la première visée est « le renforcement de l’identité citoyenne sur la base des valeurs spirituelles et culturelles traditionnelles des peuples de la Fédération russe ».

Quelle interprétation donner à l’expression « valeurs spirituelles et culturelles traditionnelles » ? Vladimir Medinsky, qui conjugue son poste de ministre avec celui de « président de la Société militaro-historique de Russie », a donné un aperçu de ses valeurs dans un entretien accordé en 2017 à l’agence de presse d’État TASS. Il a déclaré à cette occasion : « Je travaille et travaillerai dans cette équipe [gouvernementale] à la place décidée par l’entraîneur et le capitaine. Je n’ai aucune ambition. Je jouerai dans la sélection et à la place où on me dira de jouer. »

Brave soldat jamais avare en louanges pour le président Poutine, Medinsky dispose pourtant de peu de bataillons. La Culture est le poste le plus mal loti avec, selon les années,un budget oscillant entre 0,4 et 0,6 % des dépenses gouvernementales. Le Kremlin apprécie visiblement cette loyauté totale, qui est pareillement exigée du milieu culturel. La politique menée par Medinsky depuis 2012 consiste à réserver les subventions publiques à des institutions ou artistes loyaux envers le président russe et suivant docilement la ligne officielle.

Arrestations dans le monde du spectacle

La reconduction de Vladimir Medinsky intervient dans un climat répressif, alors que l’un des metteurs en scène les plus connus du pays, le remuant Kirill Serebrennikov, est sous le coup d’un procès largement considéré comme de nature politique. Il se trouve en résidence surveillée depuis plus d’un an, privé de la possibilité de travailler. Son principal associé, le producteur Alexeï Malobrodski, 61 ans, a passé près d’un an en prison préventive et n’a été placé en résidence surveillée que lorsque sa santé s’est dégradée au point de nécessiter une hospitalisation en urgence (menotté à son brancard). Le réalisateur ukrainien Oleg Sentsov, emprisonné pour vingt ans sous l’accusation fabriquée de « terrorisme », a entamé depuis le 14 mai une grève de la faim, demandant la « libération de tous les prisonniers politiques ukrainiens en Russie ». Le 25 mai, l’un des théâtres les plus novateurs du pays, teatr.doc (Moscou), a vu son spectacle Tortures censuré à Saint-Pétersbourg sur décision du Service fédéral de sécurité (FSB, successeur du KGB). La pièce de théâtre documentaire traite précisément d’actes de torture perpétrés ces derniers mois par des agents du FSB. Le même jour, un célèbre tableau d’Ilia Répine exposé à la Galerie Tretiakov à Moscou était gravement endommagé par un activiste ultraorthodoxe.

Durant le ministère de Medinsky, la Biennale d’art contemporain de Moscou a vu son aide publique se réduire progressivement à zéro. Le projet de « musée d’art contemporain » de Moscou a été gelé pour longtemps. Début mai, la filiale caucasienne du Centre d’État pour l’art contemporain a été liquidée.

Les réactions du monde culturel à la reconduction de Vladimir Medinsky sont feutrées : elle n’a pas été une surprise ; et évoquer son nom est pratiquement devenu une marque de mauvais goût. Le festival de cinéma documentaire ArtDocFest a saisi l’occasion pour annoncer son déménagement de Moscou à Riga en Lettonie. « L’absence d’intention de changer la direction du ministère de la Culture confirme que la tendance actuelle à considérer la culture et l’art comme des instruments de propagande est désormais une norme », indique un communiqué du festival. Lors de sa dernière édition en décembre 2017, la manifestation avait subi une descente de groupes paramilitaires nationalistes forçant l’annulation de plusieurs projections. Rapidement déployée sur le lieu du festival, la police russe avait pris le parti des nationalistes. Dans la foulée, le ministère de la Culture a porté plainte contre le festival.

Le silence des personnalités de la culture contemporaine russe à propos de Medinsky est justifié en coulisse comme la meilleure stratégie, non pas dans l’espoir, vain, de renouer avec les financements publics, mais dans celui, plus prosaïque, d’éviter la visite de groupes paramilitaires, de cosaques et autres militants ultraorthodoxes. Des visites qui sont devenus systématiques dès qu’une exposition aborde un thème un tant soit peu critique envers la ligne officielle. La presse d’opposition a réagi plus directement. Un éditorial de la Nezavissimaïa Gazeta (« Gazette indépendante ») a titré : « La Culture a reçu un nouveau mandat ». En russe, le mot « mandat » possède aussi le sens de « peine de prison ».

 

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°503 du 8 juin 2018, avec le titre suivant : Le bilan affligeant du ministre russe reconduit

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