Politique

La culture russe vire à droite

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 28 juillet 2018 - 643 mots

MOSCOU / RUSSIE

Portée par le camp conservateur, Elena Yampolskaïa succède à Stanislav Govoroukhine à la tête du comité parlementaire pour la culture.

Le parti majoritaire du Kremlin a nommé mercredi 25 juillet une égérie du « stalinisme orthodoxe » à la tête du comité parlementaire pour la culture russe. Elena Yampolskaïa, pressentie lors du remaniement ministériel printanier pour remplacer le ministre de la Culture Vladimir Medinsky, obtient ainsi un poste clé, duquel elle pourra orienter la conception des lois, exercer des pressions sur le ministère de la Culture et élargir son exposition médiatique. Elle remplace à ce poste le réalisateur de cinéma Stanislav Govoroukhine, décédé jeudi 14 juin.

Cette nomination signale au monde de la culture un durcissement du contrôle de l’État et marque une nouvelle victoire pour le camp conservateur, dont la figure de proue est le réalisateur de cinéma Nikita Mikhalkov. Admiratrice déclarée de Joseph Staline, Elena Yampolskaïa était jusqu’ici rédactrice en chef du journal Kultura (« culture » en russe) et faisait déjà partie du Conseil présidentiel pour la culture et l’art. 

Depuis le virage conservateur de Vladimir Poutine en 2012, elle est devenue une invitée régulière des talk-shows les plus populaires de la télévision russe, où elle distille d’un ton perpétuellement courroucé les positions de son camp idéologique. « Govoroukhine servait les intérêts du pouvoir, mais personne ne peut nier sa trace dans l’histoire du cinéma. Mais qu’a fait Yampolskaïa ? », s’interroge le politologue Alexandre Ivakhnik. « Pratiquement rien, hormis diriger, grâce à la protection de Mikhalkov, un journal que personne ne lit », conclut-il. 

Elle ne fait pas mystère de son sentiment ambivalent envers la culture : « Le mot culture est inerte, ennuyeux, c’est pourquoi nous avons créé le slogan : “Le journal Culture, ce n’est pas ce que vous pensez !” », dit-elle à propos de la publication qu’elle dirige. « Nous écrivons sur la mode, le tourisme, la gastronomie, les automobiles, le fitness, les gadgets… On dit du journal qu’il est homophobe. Mais nous tenons notre ligne éditoriale », ajoute-t-elle. 

Dans la même veine, elle oppose le sport à la culture : « En fin de compte, le sport, c’est un monde où les hommes sont restés des hommes, tandis que l’art est un incubateur à invertis ». Pas à une contradiction près, elle voit dans la culture un pilier de la défense nationale : « Quel est l’intérêt pour l’État de soutenir la culture ? Il n’y aucun intérêt à faire des enfants actuels de futurs amateurs de théâtre ou de musées. L’intérêt est de faire en sorte que les citoyens connaissent leur histoire et en soient fiers, parce que la combativité d’une armée dépend de la force morale du soldat. L’État a besoin de salles de sport, de militaires et de policiers en bonne santé. Et ne racontez pas que les stades, ce n’est pas de la culture. La culture est un pilier de la sécurité nationale », argue-t-elle.

Pour Alexandre Ivakhnik, ce qui caractérise Elena Yampolskaïa, c’est son « goût du scandale », son « cynisme sans limite » et son « apologie de Staline, qui selon elle aurait été envoyé par Dieu pour conserver la Russie sur la carte du monde ». Peu appréciée dans le monde culturel, elle rend cette affection au centuple : « Je suis soufflée par la monstrueuse bassesse de l’intelligentsia, qui demande de l’argent [à Poutine] et n’offre que du mépris en échange ». 

Sa relation au pouvoir politique est en revanche claire comme de l’eau de roche : « En Russie, il est normal de regarder les chefs d’en bas. Les Russes forment avec le pouvoir une relation romantique, parfois teintée d’érotisme. […] La soif d’aimer celui qui dirige le pays est un phénomène absolument sain ». L’avenir dira si le monde de la culture russe acceptera une nouvelle fois de se soumettre au pouvoir politique.

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