Art contemporain

POLITIQUE ÉTRANGÈRE

Aux États-Unis, un an d’art avec et contre Trump

Par Capucine Moulas, correspondante à New York · Le Journal des Arts

Le 26 janvier 2018 - 1185 mots

NEW YORK / ETATS-UNIS

Le 20 janvier 2017, le magnat de l’immobilier prenait ses habits de président. Quel impact sa première année de mandat a-t-elle eu sur le monde de l’art outre-Atlantique ?

Collectif Indecline, Rape Trump, 2017, graffiti réalisé à la frontière americano-mexicaine, près de Tijuana
Collectif Indecline, Rape Trump, 2017, graffiti réalisé à la frontière americano-mexicaine, près de Tijuana
Courtesy Indecline

New York. Entre les écrans, les cartons et les pots de peinture de l’atelier qu’il occupe depuis quatorze ans, Robin Bell ne tarit pas d’insultes sur Donald Trump. Depuis un an, cet artiste de Washington s’est donné pour mission de dénoncer le 45e président des États-Unis à travers une cinquantaine d’œuvres engagées : de gigantesques réalisations graphiques qu’il projette sur des immeubles symboliques. « Experts agree : Trump is a pig » (« Les experts sont d’accord : Trump est un porc »), pouvait-on par exemple lire en lettres bleu glacé sur la rutilante façade du Trump International Hotel à Washington, quelques jours après la victoire de l’ex-présentateur de télé-réalité en novembre 2016.

Rage artistique

Barbe soignée, cheveux en bataille et Don Quichotte de Picasso tatoué sur la moitié du bras, l’artiste confie d’une voix nerveuse : « J’étais tellement choqué les premières semaines après son élection, que je me réveillais tous les jours à 5 heures pour travailler pendant des heures. » Contacté par téléphone, l’un des membres fondateurs du collectif d’artistes anonymes Indecline, flirtant avec la légalité et célèbre pour ses quatre sculptures caricaturales de Donald Trump dénudé, assure lui aussi : « Nous avons fait vœu de résister après l’élection. Beaucoup d’entre nous ont dû mettre des projets personnels de côté pour s’engager. »

Comme des milliers d’artistes américains, Robin Bell et les membres du collectif Indecline ont soutenu le mouvement de grève de la communauté artistique dit « J20 Art Strike » qui s’est tenu le 20 janvier, jour J de l’investiture, pour dénoncer « un mélange toxique de domination, de misogynie, de xénophobie, de militarisme et de logique oligarchique », selon le manifeste signé par 44 artistes et 38 critiques d’art. Comme tant d’autres, ils ont battu le pavé le 21 janvier à Washington et se sont mêlés à l’océan de bonnets roses devenus symboles de la Marche des femmes, le plus grand mouvement de protestation anti-Trump depuis son investiture.

Quelques jours plus tard, au mois de février, même le vénérable Museum of Modern Art de New York décrochait ses tableaux de maître en signe de protestation, pour les remplacer par des œuvres de peintres originaires des six pays non grata visés par le décret anti-immigration du milliardaire. « Quand le président parle de législation ou d’initiatives qui vont mettre à mal notre mission, j’ai l’obligation de m’exprimer », confiait encore au JdA [lire p. 24-25] Daniel Weiss, directeur du Metropolitan Museum of Art, qui fut l’un des rares musées à s’engager contre le retrait des États-Unis de l’Unesco en octobre dernier. Au mois de mars, après les violentes manifestations de l’extrême droite à Charlottesville (Virginie), la démission des membres du President’s Committee on the Arts and the Humanities, un organe consultatif composé d’artistes directement liés à la Maison Blanche, signait le divorce définitif entre le monde de l’art et l’impétueux président.

NEA et marché de l’art

Un an après ces débuts explosifs avec la communauté artistique, quelle influence concrète Donald Trump a-t-il eue sur l’art aux États-Unis ? Malgré ses menaces de supprimer les budgets des quatre agences fédérales, garantes des fonds publics pour la culture aux États-Unis, dont le National Endowment for the Arts (NEA), l’année s’est achevée sur un statu quo politique. Le budget fédéral pour l’année fiscale 2018, qui démarre le 1er octobre 2017, n’a toujours pas été voté. « Comme le reste du gouvernement fédéral, nous sommes sous le coup d’une résolution [votée par le Congrès des États-Unis le 8 décembre à titre temporaire, NDLR] qui court jusqu’au 19 janvier, sur la base de notre budget de l’année fiscale 2017, à savoir une dotation de 149 millions de dollars », explique une porte-parole du NEA, qui refuse de commenter plus avant les décisions du gouvernement.

D’un point de vue économique, le marché de l’art contemporain se porte comme un charme, après plusieurs années maussades. Malgré une période d’incertitude pour les vendeurs à l’aube de l’élection américaine, « le bilan en 2017 est globalement positif », résume Todd Levin, conseiller financier en placements dans le marché de l’art et fondateur du groupe Levin Art. Selon les indices de la société de cotation Artprice, le produit des ventes aux enchères dans la catégorie « beaux-arts » a bondi de 28 % au premier semestre 2017 aux États-Unis, plaçant le marché américain au coude-à-coude avec la Chine.

« Ce versant du marché de l’art est contrôlé par une infime minorité de collectionneurs extrêmement fortunés », explique l’expert. « L’élection de Donald Trump est plutôt une bonne chose pour leurs placements. Son programme fiscal est clairement en faveur des grandes fortunes. Cela signifie qu’ils auront davantage d’argent à investir dans les arts. Le marché continuera à grandir, ce qui est une bonne chose pour les galeries et les artistes qui font partie de cet écosystème », poursuit le conseiller, qui fait le même constat pour le marché de l’art ancien.

Si la réforme fiscale portée à bras-le-corps par le locataire de la Maison Blanche bénéficie aux riches philanthropes, un horizon gris se présente aux acteurs plus modestes, dans un pays où les arts reposent majoritairement sur des fonds privés. « La nouvelle législation va avoir un effet dévastateur sur les plus petites galeries et les travailleurs indépendants comme les artistes, déplore Todd Levin. Jusqu’à présent, les artistes pouvaient par exemple déduire de leurs revenus imposables leurs outils de travail, le prix de leur atelier, leurs frais de déménagement, leurs supports de recherche comme les magazines, les livres, les bases de données ou les catalogues. Mais cette déduction ne sera désormais plus possible et les conséquences financières seront terribles pour eux. »

Bulle artistique et résistance

Côté artistes, l’année 2017 était placée sous le signe de l’engagement politique. « Depuis l’élection, le mot “activiste” est à la mode », sourit Ben Davis, critique d’art et signataire du manifeste « J20 Art Strike » en janvier 2017. « Il y a de nouvelles coalitions d’artistes, de nouveaux réseaux et de nouveaux groupes comme Halt Action, à l’origine du mouvement de protestation “Dear Ivanka” », illustre le critique, qui constate cependant un essoufflement de la résistance artistique. Cette réponse unanime et convergente aurait même créé une « bulle », avance-t-il. « Le danger avec cet engagement anti-Trump, c’est que si vous ne parlez qu’aux personnes qui sont d’accord avec vous, cet engagement finit par devenir une attraction, un divertissement », regrette-t-il.

William Smith, rédacteur en chef du magazine Art in America, tente pour cette raison de limiter les sujets « Trump » dans sa publication. « Je ne crois pas que cette réponse directe au climat politique soit vraiment très saine pour les arts, qui risquent de devenir unidimensionnels. Beaucoup de créations ont tourné autour de Donald Trump cette année et je pense que cette tendance peut avoir un effet limitant et appauvrissant », observe-t-il. Malgré ce constat, le collectif Indecline a déjà prévu « une œuvre très forte » pour la date anniversaire de l’investiture. Robin Bell, qui ressent quant à lui une « demande plus forte que jamais de la part du public », prépare également une projection engagée pour le 20 janvier. Pour lui, après tout : « Le meilleur artiste en pleine performance, c’est Donald Trump. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°493 du 19 janvier 2018, avec le titre suivant : Aux États-Unis, Un an d’art avec et contre Trump

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