Intelligence artificielle (IA) - Numérique

ENTRETIEN

Frédéric Rose : « L’IA divise les coûts de l’immersif par trois ou quatre »

Directeur de Musem Manufactory

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 5 décembre 2025 - 1065 mots

À la tête de Museum Manufactory, Frédéric Rose mise sur l’IA pour transformer les Carrières des Lumières tout en proposant un modèle « clé en main » unique en France.

Frédéric Rose. © Dorian Rollin
Frédéric Rose.
© Dorian Rollin

Encore peu connu du monde de la scénographie et de l’immersif, Frédéric Rose a constitué en quelques années un groupe basé à Strasbourg sous la marque Museum Manufactory, avec une compétence avérée dans le domaine de l’IA. Il part à l’assaut des Carrières des Lumières dans Les Baux-de-Provence, dont la délégation de service doit être renouvelée, en ayant constitué autour de lui un groupement d’entreprises, chacune spécialiste dans son domaine.

Vous êtes le concepteur du parcours scénographique de la Maison Carrée à Nîmes. Quelle philosophie l’a guidé ?

L’intervention s’est déroulée en deux temps, le second étant en cours. Le premier temps s’est inscrit dans le cadre du changement de délégataire de service public (DSP) en 2021-2022, avec le passage de Culturespaces à Edeis. J’ai pris le parti de neutraliser et de dépouiller le lieu. Culturespaces avait installé une salle de cinéma, des cloisons et des blocs de climatisation qui empêchaient la lecture de l’espace et de ses perspectives. Notre objectif était d’offrir une lecture totale du lieu. Nous avons libéré l’espace central et déployé la muséographie en périphérie, sur l’enveloppe intérieure de la Maison Carrée, dégageant ainsi l’ensemble de la surface au sol. Cette approche a été un élément très important pour gagner la délégation.

Quelle est la nature de cette muséographie ? Est-elle immersive ?

Non, ce n’est pas du tout de l’immersif. C’est ce que j’appelle de la « muséographie pure », ultra light. L’immersif n’est pas adapté car il transforme et modifie la compréhension du lieu. La Maison Carrée n’a pas été faite par les Romains pour du mapping vidéo. Le postulat est d’enlever tout ce qui pourrait induire une mauvaise interprétation, car il existe très peu de traces de ce qui s’y passait réellement. La nouvelle muséographie permet de comprendre la Maison Carrée dans son environnement urbain, à travers des maquettes, des audiovisuels avec des spécialistes, du mobilier et des vitrines.

Votre contrat avec Edeis n’a pas été renouvelé. Quel était votre rôle dans cette DSP et pourquoi le partenariat a-t-il pris fin ?

Nous étions un fournisseur prestataire. Nous étions mandatés par Edeis, dont c’était la première DSP, pour être en contact direct avec la Ville, la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) et les services de l’État. C’est notre spécificité chez Museum Manufactory : nous assurons l’étude, la conception, la maîtrise d’œuvre et le suivi des travaux. Le partenariat n’a pas été renouvelé car Edeis a été racheté par Trévise Participations. Avec le changement de stratégie et le départ de l’ancien dirigeant, les liens se sont distendus.

Vous vous positionnez désormais sur les Carrières des Lumières, cette fois avec une approche immersive. Comment comptez-vous vous différencier de l’offre actuelle de Culturespaces ?

En effet, nous sommes mandataires d’un groupement d’entreprises, candidat à la gestion du site des Carrières des Baux-de-Provence, et nous avons été sélectionnés pour déposer une offre. Nous avons créé une équipe très compétente en agrégeant des experts, comme Marianne International, spécialisée dans l’accueil du public et la billetterie ou encore Arteum pour la boutique. Culturespaces a fait du bon travail en tant qu’opérateur, mais ils utilisent l’immersif pour l’immersif avec peu de densité de contenu. Nous allons donner plus de fond et de corps à l’immersif, pour développer la narration et le contenu.

Vous prévoyez d’utiliser l’intelligence artificielle (IA) dans la production de ce contenu. Comment l’IA vous aide-t-elle ?

Nous avons déjà utilisé l’IA pour générer en grande partie le mapping monumental du théâtre antique d’Orange (5 000 à 6 000 m² de surface projetée) (voir ill.). L’IA permet d’accélérer la production et de diminuer les coûts de production. Si un tel projet coûte traditionnellement entre 800 000 et 1,2 million d’euros, l’usage de l’IA divise les coûts par trois ou quatre.

Odyssée sonore : mapping au théâtre antique d'Orange. © Museum Manufactory
Odyssée sonore : mapping au théâtre antique d'Orange.
© Museum Manufactory
Quelle méthode d’IA utilisez-vous pour garantir la précision technique ?

En plus de l’usage classique des réseaux de neurones (comme ChatGPT ou Midjourney), notre spécialité est le fine tuning. Nous prenons un modèle open source et le modifions par un micro-entraînement spécifique, en créant des bases de données techniques. Par exemple, pour générer des images de sculptures gréco-romaines, nous entraînons le réseau de neurones avec des collections antiques réelles, afin qu’il ne se base pas sur les personnages très musclés et caricaturaux de chez Marvel ou Disney présents dans sa base de données d’origine. Cela permet de « corriger » l’IA et d’obtenir une représentation plus conforme à la réalité historique.

Comment définissez-vous le métier de Museum Manufactory et quel est votre modèle d’entreprise face au marché français ?

Je me définis comme un concepteur qui mène un projet à 360 degrés. Museum Manufactory est une superbe boîte à outils au service de projets culturels. Notre modèle, influencé par les cultures anglo-saxonnes et germaniques, est celui du « clé en main ». Nous prenons l’entière responsabilité, de la conception à l’ingénierie en passant par le financier, jusqu’au déploiement, pour faire gagner du temps et du confort à nos clients.

Ce modèle « tout corps d’état » est inhabituel dans le marché des opérateurs patrimoniaux, réputé pour sa segmentation. Pourquoi persiste-t-il ?

Le marché français est effectivement très fragmenté, chaque acteur restant dans sa catégorie (scénographe, ingénieur, architecte, muséographe). Cette forte segmentation est unique au monde et empêche l’émergence d’opérateurs français puissants capables de rivaliser avec des acteurs internationaux comme l’Atelier Brückner, en Allemagne, qui compte des centaines d’employés. Cependant, la demande pour des prestataires globaux augmente chez les opérateurs privés et commence à se faire jour dans le public.

Quels sont les avantages financiers de ce modèle « clé en main » ?

Un projet « clé en main » permet de gagner environ 25 % de temps et de budget par rapport à une procédure d’appel d’offres classique. Nous négocions directement avec les fabricants, ce qui supprime les marges des revendeurs ou distributeurs, qui peuvent représenter 30 à 50 % du coût sur certains matériels.

Quel segment de la muséographie visez-vous principalement ?

Nous nous concentrons sur les lieux nécessitant une forte médiation pour occuper l’espace. Nous sommes à l’aise dans des lieux où il y a peu ou pas de collections. Notre marché cible se situe entre les musées d’art contemporain qui utilisent peu la médiation et les musées immersifs où il n’y a que du sensoriel. Cela inclut les sites archéologiques sans vestiges visibles, les musées historiques et scientifiques, ou les lieux comme les Carrières.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°666 du 28 novembre 2025, avec le titre suivant : Frédéric Rose, directeur de Musem Manufactory : « L’IA divise les coûts de l’immersif par trois ou quatre »

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