Italie - Politique culturelle

ENTRETIEN

Vittorio Sgarbi : « Empêcher que le paysage italien ne soit détruit »

Sous-secrétaire d’État à la culture italien

Par Olivier Tosseri, correspondant à Rome · Le Journal des Arts

Le 8 février 2023 - 1062 mots

ITALIE

L’historien de l’art connu pour ses talents de polémistes et ses provocations est le sous-secrétaire d’État à la Culture, à l’Architecture et au Patrimoine culturel dans le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni. Il prône notamment une bataille pour préserver le paysage italien « défiguré par les parcs éoliens et photovoltaïques ».

Vittorio Sgarbi en décembre 2022. © Merulana, CC BY-SA 4.0
Vittorio Sgarbi en décembre 2022.
Photo Merulana
Vingt ans après avoir participé au gouvernement de Berlusconi, vous revenez au sein de l’exécutif. Dans quel état d’esprit abordez-vous vos nouvelles fonctions ?

Vittorio Sgarbi : Il y a vingt ans, j’avais l’impression que l’on pouvait faire beaucoup plus de choses. Que la politique influait beaucoup plus sur la réalité pour la modifier. Aujourd’hui, nous avons beaucoup de ressources financières à disposition grâce au plan de relance européen dont l’Italie est la principale bénéficiaire avec environ 200 milliards d’euros. Cet argent doit profiter à la conservation, la restauration et l’entretien du patrimoine culturel de nos villages, de nos églises… Je pense en particulier au FEC (Fonds pour les édifices de culte) géré par le ministère de l’Intérieur avec lequel nous pouvons collaborer efficacement. Il faut mieux structurer l’action gouvernementale.

Pour éradiquer « l’hégémonie culturelle de la gauche » comme l’appelle de ses vœux le ministre de la Culture, Gennaro Sangiuliano ?

V.S : Cette hégémonie existe surtout dans le monde du cinéma, de la musique, et dans l’art contemporain. Mais l’âme du ministère de la Culture italien est avant tout technique et pas politique, avec ses différentes strates de bureaucratie qui se sont consolidées au fil des décennies. Le ministre de la Culture est un journaliste qui ne craint pas d’afficher ses opinions partisanes. Ce n’est pas un « spécialiste des biens culturels » comme je le suis. De ce point de vue, il y a une très grande complémentarité. En revanche, si le monde de la culture et de la création est par définition progressiste, celui des biens culturels est conservateur. Conserver le patrimoine au premier sens du terme est sa principale mission.

Tout comme sa préservation et sa valorisation ?

V.S : Ces deux concepts sont complémentaires. L’État a la charge de la conservation des biens culturels et les administrations locales celle de les valoriser. Je déplore parfois des dérives idéologiques comme lorsque la préservation ou la mise en valeur du patrimoine architectural des années 1920-1930 est assimilée à une exaltation du fascisme. Il y a une confusion entre la culture qui se réfère au présent, et qui peut instrumentaliser des débats, et les biens culturels qui font référence à notre passé et qui doivent simplement être protégés. C’est pour cela que j’estime qu’il serait préférable que le Mibac [le ministère de la Culture] soit scindé en un ministère de la Culture et de l’Université, et un ministère du Patrimoine. Il faut une définition plus précise des compétences car le mot culture est trop vaste et vague ; il crée des ambiguïtés et suscite des interprétations.

Quelles sont vos priorités ?

V.S : Je n’en ai qu’une seule. Empêcher que le paysage italien ne soit détruit. Cela veut dire préserver les villes d’art, s’opposer à la construction ou à l’aménagement de musées de manière chaotique. Mais ma grande bataille, qui est celle de notre époque, est la bataille pour notre paysage italien qui est resté intègre pendant des millénaires. C’est celui de la Magna Grecia et des peintres de la Renaissance. Cela passe par une véritable lutte contre l’installation des parcs éoliens et photovoltaïques qui représente une folie, un viol digne de la pire des mafias menée par des intégristes environnementaux. La criminalité organisée a d’ailleurs investi massivement dans les énergies renouvelables. Dans les Pouilles, par exemple, il y a 1 700 éoliennes contre seulement 9 dans le Piémont. On est en train de défigurer des régions entières et je ne le laisserai pas faire.

Le grand chantier du précédent ministre de la Culture, Dario Francheschini, a été l’internationalisation des musées italiens avec la nomination de directeurs étrangers. Une décision que vous ne soutenez pas…

V.S : Je n’ai pas de préjugés sur la nationalité des directeurs des musées et, si des concours sont organisés pour les recruter, on ne peut pas les discriminer par leur passeport. Mais je trouve qu’il ne faut pas favoriser ces nominations parce qu’on veut à tout prix placer des étrangers à des postes élevés, comme si c’était positif en soi. Les directeurs du Monde ou du Wall Street Journal sont français et américains que je sache. Ça vaut pour tous les secteurs : les magistrats, les préfets, les ambassadeurs… La culture est universelle bien sûr, mais nommer des étrangers à la tête de grands musées signifie que l’Italie n’a pas de personnes qualifiées pour occuper ces postes. Or ce n’est pas le cas. Je trouve fondamental que la direction de deux institutions symboliques comme les Offices de Florence et la Scala de Milan soit réservée à un Italien.

La France est souvent citée en exemple lorsqu’il s’agit de politique culturelle. Qu’en pensez-vous ?

V.S : Je trouve que sur la circulation des œuvres d’art, la France est en effet un modèle que l’on pourrait suivre. Les normes italiennes sont trop rigides, voire absurdes avec des seuils pour les exportations trop bas. Cela freine le marché transalpin. Empêcher de faire circuler des œuvres de Mario Schifano ou Alberto Burri, grands artistes de la deuxième moitié du XXe siècle, est une forme d’automutilation. J’ai déjà donné des indications pour faciliter la circulation des œuvres produites au cours des soixante dernières années.
La façon dont la France exerce son droit de préemption est également un exemple à suivre. Ce qui m’importe, c’est que l’on connaisse mieux les œuvres, leur provenance et leurs propriétaires, et qu’on les laisse plus facilement circuler au sein de l’Union européenne avec une carte d’identité que l’on pourrait établir pour chacune d’elles. Ceux qui les achètent ou les vendent ne doivent plus être considérés comme de potentiels délinquants.

En tant que critique d’art, comment jugez-vous la critique artistique aujourd’hui ?

V.S : Elle est en train de mourir. Dans un monde capitaliste dans lequel un bien culturel devient un produit culturel, le critiquer veut dire l’altérer. Les critiques d’art sont ainsi devenus des prolongations des services de presse. Ils se contentent de décrire sans donner leur avis. Ce sont des passeurs de plats. Malheureusement, aujourd’hui, ce n’est plus le goût personnel du public ou du critique qui fait la valeur d’une œuvre d’art, mais le goût du marché dans une acceptation purement économique.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°604 du 3 février 2023, avec le titre suivant : Vittorio Sgarbi, sous-secrétaire d’État à la culture italien : « Empêcher que le paysage italien ne soit détruit »

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