Italie - Politique

TRANSITION ÉCOLOGIQUE

En Italie, le ministère de la Culture accusé de freiner la transition écologique

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2021 - 765 mots

ITALIE

Alors que l’Italie s’apprête à multiplier les chantiers en faveur de la transition écologique, les défenseurs du paysage s’inquiètent de la menace qui pèse sur le patrimoine culturel du pays tandis que les partisans de sa modernisation fustigent l’immobilisme et l’obstruction du ministère de la Culture.

Parc éolien du village de Grisì près de Palerme en Sicile. © grisì2019, CC BY-SA 4.0
Parc éolien du village de Grisì près de Palerme en Sicile.
© grisì2019, 2019

Italie. Faut-il protéger le paysage ou l’environnement ? C’est la question à laquelle le gouvernement italien devra répondre à la faveur du plan de relance européen, suite à la pandémie de Covid-19. La Péninsule en sera la principale bénéficiaire avec un PNRR (Piano Nazionale di Ripresa e Resilienza) de plus de 221 milliards d’euros. Près de 70 milliards d’euros seront destinés à la transition écologique qui reposera notamment sur des investissements massifs dans les énergies renouvelables et de nouvelles infrastructures. Pour accélérer les chantiers, le gouvernement de Mario Draghi adoptera ces prochaines semaines un « Decreto Semplificazioni ». Il vise à simplifier la machine bureaucratique qui fait « obstacle à la modernisation et au développement du pays », selon un constat unanime.

C’est la critique qu’émet Stefano Ciafani, président national de Legambiente, à l’encontre du ministère de la Culture (Mibac) et, en particulier, de ses nombreuses surintendances [l’équivalent de nos directions régionales des affaires culturelles]. La plus importante association environnementale italienne estime qu’elles « freinent la transition écologique ; elles sont et seront toujours nos alliées pour lutter contre le bétonnage et la spéculation immobilière », reconnaît Stefano Ciafani. « Il faut néanmoins un changement culturel car elles ne peuvent pas s’opposer à toute modification sur le territoire notamment concernant les parcs éoliens et photovoltaïques. Les surintendances ont pourtant laissé installer des milliers de paraboles sur les toits des immeubles et des climatiseurs sur leurs façades. Leurs dirigeants considèrent sûrement que le paysage italien sera altéré avec des tours éoliennes. Mais ce paysage a toujours été modifié, des aqueducs romains aux coupoles des églises jusqu’aux autoroutes. Il y a des choses qui doivent être faites et faites bien. » La polémique n’a cessé d’enfler avec une lettre adressée au ministre Dario Franceschini par Antonio Decaro, président de l’association des maires italiens. Fustigeant les « bureaucrates de la culture », il réclame une « simplification des procédures administratives pour faire repartir le pays » tout en se faisant l’écho des « plaintes de nombreux maires à propos de l’obstruction des surintendances » .

La réponse du ministre a été immédiate, rappelant que la Constitution italienne est l’une des rares dans le monde à mentionner dans son article 9 que la « République protège le paysage et le patrimoine historique et artistique de la Nation. […] Nous devons être fiers de vivre dans un pays avec une présence des surintendances partout sur le territoire qui a permis de vaincre la bataille de la préservation des côtes, du paysage et des centres historiques au XXe siècle. C’est la beauté de notre pays et une grande force économique, pas seulement pour le tourisme, mais parce que le “Made in Italy” est vendu dans le monde entier. »

Ne rien faire à la hâte

Un satisfecit qui est loin d’être partagé par tous. Les exemples sont légion de récentes spéculations immobilières sauvages, de bétonnage inconsidéré de terres agricoles ou encore d’édifices aux qualités esthétiques douteuses qui ont ruiné l’harmonie de certains centres historiques. Multiplier les chantiers d’infrastructures à la hâte pour sortir la Péninsule de la récession pourrait bien défigurer le charme du « Bel Paese ». C’est l’inquiétude des détracteurs du « Decreto Semplificazioni » qui devrait faciliter l’obtention des autorisations de construction. Trois mesures en particulier posent problème : une surintendance unique devrait suivre les chantiers liés au PNRR, les critères de démolition et de reconstruction d’immeubles, y compris dans les centres historiques, seront allégés, tandis que ceux de réception tacite d’un ouvrage seront renforcés.

« On oppose deux priorités qui sont aussi importantes et indispensables l’une que l’autre : la protection du paysage et la production d’énergie propre », déplore l’archéologue Giuliano Volpe, président émérite du Conseil supérieur des biens culturels et paysagers du ministère de la Culture. « Pourquoi ne pas les mettre en œuvre ensemble ? Ce conflit est absurde. » Giuliano Volpe regrette surtout la guerre faite à l’archéologie préventive présentée comme la principale cause de blocage des chantiers, notamment dans les villes d’art. « Elle est au contraire ce qui empêche que les travaux soient arrêtés en raison de la découverte de vestiges. Il faudrait suivre l’exemple de la France avec son Institut national de recherches archéologiques préventives. Cela manque en Italie. Les archéologues ne sont pas des talibans de l’immobilisme. Ils veulent eux aussi contribuer à la modernisation du pays, à la transition écologique et à la réalisation de meilleures infrastructures publiques. Mais pas au détriment du patrimoine », plaide-t-il.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°570 du 25 juin 2021, avec le titre suivant : En Italie, le ministère de la Culture accusé de freiner la transition écologique

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