Si la Ville affirme que le tableau a bénéficié d’une forme de dédommagement après guerre, les ayants droit contestent cette conclusion faute de preuve écrite.
Gand (Belgique). En mai 1940, Samuel Hartveld, marchand d’art à Anvers, quitte la Belgique pour New York, fuyant les persécutions nazies. Il laisse derrière lui une importante collection de livres d’art et de tableaux anciens, saisis par l’occupant. En 1942, sa galerie et les 66 tableaux qu’elle abritait ont été mises en liquidation et rachetées par René Van de Broek, restaurateur de tableaux et connaissance du marchand. En 1948, celui-ci vend à la Ville de Gand le Portrait de l’évêque Antoine Triest, attribué à Gaspar De Crayer (1584-1669, [voir ill.]), peinture importante pour la ville puisqu’elle représente un homme d’Église, influent patron des arts au XVIIe siècle.
En 2023, les ayants droit de Samuel Hartveld ont introduit une demande de restitution de la peinture, détenue par le Musée des beaux-arts (MSK). Pour en examiner la recevabilité, la Ville de Gand a réuni une commission composée d’experts des beaux-arts, de l’administration fédérale et de l’université de Gand (UGent) afin d’examiner si Samuel Hartveld avait pu déjà bénéficier d’un dédommagement pour la peinture en question. Après l’étude des archives disponibles, la commission conclut à l’unanimité que, si aucune preuve écrite d’un paiement en faveur de Hartveld n’a pu être mise à jour, une forme de dédommagement a bien eu lieu. Un faisceau de faits et d’indications semblerait l’attester. Ainsi, pendant la guerre, Van De Broek a géré la galerie et son fonds, ceux-ci étant restés légalement la propriété de Hartveld. Et, à la Libération, Hartveld est revenu à plusieurs reprises à Anvers et semblait collaborer et entretenir d’excellentes relations avec Van de Broek. Le marchand d’art a transmis aux autorités une demande de compensation pour le vol de sa collection de livres d’art et de quelques objets, mais pas pour ses tableaux. Des arrangements ont été conclus entre les deux hommes pour la vente de certaines des peintures appartenant à Hartveld. Quand le Portrait de l’évêque Triest a été vendu à la Ville de Gand, Samuel Hartveld, décédé en 1949, était toujours en vie et possiblement au courant.
La personnalité trouble de Van de Broek s’entache de liens supposés avec l’organisation collaborationniste flamande DeVlag et de déplacements en France pour le compte de Léon Degrelle, créateur de la légion SS-Wallonie. Mais pour la commission, ces liens relèveraient plus de l’opportunisme que de l’adhésion idéologique. Interrogé après la guerre sur ces questions par les autorités judiciaires, Van de Broek n’a fait l’objet d’aucune condamnation.
Pour toutes ces raisons, la commission estime donc que la Ville de Gand est légitimement propriétaire de la peinture. Elle recommande toutefois que, pour toute exposition et publication qui la concerne, il soit clairement mentionné que l’œuvre a fait l’objet d’une spoliation pendant la guerre.
Les héritiers de Samuel Hartveld, soutenus par le Centre juif d’information et de documentation (JID) et l’European Jewish Association, maintiennent qu’en l’absence de preuve écrite d’une quelconque rétribution financière on ne peut évoquer un dédommagement et réclament la restitution de l’œuvre. Les deux organisations ont décidé de porter l’affaire en justice et appellent à « l’instauration d’une commission nationale de restitution, comme il en existe dans d’autres pays européens ».
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Un tableau au cœur d’un litige entre Gand et les héritiers d’un marchand juif
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°667 du 12 décembre 2025, avec le titre suivant : Un tableau au cœur d’un litige entre Gand et les héritiers d’un marchand juif





