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GESTION DES MUSÉES

Musée du Louvre : les questions soulevées par la Cour des comptes

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 19 novembre 2025 - 1943 mots

Très médiatisée après le cambriolage, la publication du rapport pour la période 2018-2024 place le musée en face de choix difficiles.

Musée du Louvre
Le Musée du Louvre.

Paris. La Cour des comptes avait à cœur de publier au plus vite, après le cambriolage de la galerie d’Apollon qui a provoqué un émoi dans le monde entier, le rapport qu’elle préparait depuis longtemps sur le Musée du Louvre. D’autant que des pages consacrées à la sécurité avaient été communiquées à la presse, sans doute par l’un des destinataires du pré-rapport extérieurs à la Cour, selon un magistrat interrogé par le Journal des Arts. La Cour a mis les bouchées doubles pour solliciter et intégrer les réponses des mis en cause, soit principalement la direction du Louvre.

La forte médiatisation de ce rapport, en témoignent les innombrables caméras de télévision présentes dans la salle de presse, contribue à alimenter le débat sur les responsabilités du musée, et plus encore à peser sur ses choix stratégiques. À commencer par l’épineux sujet de la sécurité des œuvres.

Un désintérêt pour les questions de sécurité ?

Le pré-rapport qui avait fuité suggérait une lourde charge contre le musée à qui il était fait grief de ne s’être pas beaucoup intéressé à la sécurité (protection contre les accidents) et à la sûreté (protection contre les actes intentionnels) des œuvres. Ce n’est pas ce que l’on comprend du rapport définitif malgré la complexité du sujet. Cette complexité naît du fait que la protection des œuvres dépasse la simple mise en place de caméras de surveillance et met en jeu la modernisation des PC de sécurité, du réseau de câblage, des logiciels de détection, des équipements anti-incendie, de la climatisation, etc.

Stricto sensu, il est exact que le déploiement des caméras dans les salles a pris beaucoup de retard puisque, à la fin de l’année 2024, seules 39 % des salles en étaient équipées contre 34 % en 2019. Mais d’un autre côté, le Louvre a élaboré plusieurs schémas directeurs de travaux dont l’un axé spécifiquement sur la sûreté lancé en 2018 et pour lequel les marchés ont été notifiés… en octobre 2025. Ainsi, de manière générale, il semble que le musée n’ait pas toujours été diligent dans la phase d’étude des différents schémas ni très allant dans leur mise en œuvre, en en faisant parfois des variables d’ajustement budgétaire.

Un désintérêt pour l’entretien et la rénovation du bâtiment ?
Laurence des Cars. © Musée du Louvre / Nicolas Guiraud
Laurence des Cars.
© Musée du Louvre / Nicolas Guiraud

Lors de son discours prononcé devant la presse, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a mis en regard les 87 millions d’euros dépensés pour l’entretien et la restauration du palais avec les 169 millions engagés pour la muséographie et les acquisitions d’œuvres. Il a martelé que le « Louvre a accumulé un retard considérable dans la mise aux normes des infrastructures techniques et la restauration du palais ». À nouveau, un retard indéniable, mais il ne préjuge pas d’un désintérêt des deux directeurs de la période couverte. Laurence des Cars, l’actuelle présidente-directrice, a ainsi lancé à la fin de l’année 2023 « une démarche d’élaboration d’un schéma directeur global de rénovation, prenant en compte à la fois les besoins urgents de court terme et les travaux à programmer sur une durée de dix ans ». Ce schéma a été repris lors de l’annonce d’Emmanuel Macron d’un « Louvre – Nouvelle Renaissance », associé au projet d’une nouvelle entrée et de nouveaux espaces pour la Joconde sous la Cour carrée. Le coût de « Louvre Demain » (selon son nom) est estimé à 481 millions d’euros. Lors de son audition au Sénat, Laurence des Cars avait indiqué qu’à la suite du braquage, l’aile Denon où se trouve la galerie d’Apollon allait être placée dans les zones prioritaires, ce qui n’était pas le cas dans le schéma initial.

Des acquisitions dispendieuses ?

Entre 2018 et 2024, le Louvre a consacré 145 millions d’euros (dont 105 millions sur ses propres ressources) pour acquérir 2 754 œuvres. Une somme que la Cour trouve excessive – il est vrai que la somme est deux fois supérieure aux crédits de paiement du ministère de la Culture pour aider tous les autres musées, nationaux et territoriaux, à acheter des œuvres. Elle souligne par ailleurs que moins d’une œuvre sur quatre a été exposée depuis. Ce à quoi le musée répond que, parmi celles-ci, 488 œuvres n’ont pas vocation à être présentées de manière régulière. Le rapport relève que le musée paye parfois un peu cher ses achats et souligne, comme dans son rapport de 2022, que les conservateurs devraient être plus discrets quand une œuvre se présente en ventes publiques, ceci afin d’éviter de faire monter les enchères. Par ailleurs, l’accrochage récent des œuvres commandées par le Louvre à l’artiste sud-africaine Marlene Dumas n’est pas très opportun pour un musée d’art ancien, et au moment où le ministère de la Culture souhaite privilégier la scène française. Pour limiter le budget d’acquisition du Louvre, le rapport recommande de supprimer la règle des 20 % de recettes de billetterie affectées aux acquisitions et de ne plus utiliser les recettes tirées de la redevance de marque à cet effet.

Des réserves déjà saturées ?

Inauguré en 2019, le Centre de conservation du Louvre (CCL) à Liévin (Pas-de-Calais) a permis d’accueillir 246 000 œuvres dont une grande part était jusqu’alors localisée dans des zones inondables au sein du palais. Mais tout en soulignant la réussite du projet, les magistrats remarquent que le centre est de plus en plus utilisé « à contre-emploi », comme espace de stockage temporaire destiné à des œuvres transférées pour cause de travaux au musée. De sorte que l’établissement doit mettre en chantier plus vite que prévu l’extension envisagée et donc la financer. Le Louvre se défend mollement, arguant que ce stockage temporaire est « secondaire au regard de l’activité globale du CCL », préférant mettre en avant les 55 % de surfaces de réserve inondables évacuées…, ce qui en laisse toujours 45 %.

Un fonds de dotation sous emprise du Louvre ?

Constitué des redevances du Louvre Abu Dhabi pour 260 millions d’euros, de dons et legs pour 43 millions d’euros, et de la capitalisation des produits financiers, le fonds de dotation du Musée du Louvre dispose aujourd’hui d’un portefeuille de plus de 360 millions d’euros. Il a versé plus de 80 millions d’euros au Louvre depuis son origine avec un surversement de 23 millions d’euros en 2023. Tout en saluant la bonne gestion du portefeuille financier dont le rendement annuel est de près de 6 %, le rapport dénonce la faible autonomie du fonds par rapport au musée, lequel dispose de trois membres sur six au conseil d’administration et peut révoquer à tout moment son directeur général. Il recommande de modifier les statuts du fonds pour que le musée y soit minoritaire et qu’une convention régisse les rapports entre le fonds et le musée s’agissant du démarchage des mécènes. Enfin, et surtout, il demande que le musée reverse au fonds les 207 millions d’euros issus de la redevance de marque qu’il a conservés. Le musée n’est pas d’accord sur ce dernier point et une belle bataille s’annonce si les parlementaires s’emparent du sujet.

Des Amis trop gâtés ?

La Société des amis du Louvre gère depuis longtemps les cartes d’abonnement pour l’accès au musée. Une véritable manne puisqu’elle dénombre plus de 67 000 adhérents, soit plus de 4 millions d’euros de recettes reversés en grande partie au Louvre. Mais les magistrats estiment qu’il revient au musée de gérer ses offres d’abonnement, lequel n’y est pas vraiment favorable. Le Louvre a cependant promis d’encadrer par une convention la délégation de cette activité aux Amis. Les magistrats font par ailleurs remarquer que la concurrence entre le Louvre, le fonds de dotation et la Société des amis pour chercher des mécènes n’est pas optimale et devrait être mieux coordonnée.

Colonnade du Louvre, édifiée entre 1667 et 1670. © Jean-Pierre Dalbéra - CC BY 2.0
La colonnade du Louvre, édifiée entre 1667 et 1670.
Faut-il une nouvelle entrée à l’est ?

La Cour s’est bien gardée de se prononcer sur la pertinence du projet d’une nouvelle entrée dans la Grande Colonnade qui déboucherait sur de nouveaux espaces sous la Cour carrée pour y exposer en particulier La Joconde. Annoncé et donc porté par le président de la République, ce projet revêt une forte dimension politique. Mais en multipliant les préventions contre le « Louvre-Grande Colonnade », les magistrats de la Rue Cambon montrent qu’ils n’y sont pas favorables. Ils regrettent que le projet ait été lancé au pas de course sans études préalables et en l’absence d’autres solutions pour fluidifier la circulation dans le musée, rappelant qu’existent les entrées de la Porte-des-Lions et du pavillon des Sessions. Ils soulignent que les espaces nouvellement créés seront en zone inondable et que l’entrée est opportunément voisine de la Samaritaine. Mais surtout, ils affirment que le musée n’a pas les moyens de financer les 667 millions de ce projet (« une hypothèse basse ») qui était estimé 445 millions d’euros il y a encore quelques semaines.

Le Louvre a-t-il les moyens de ses ambitions ?
Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes © Cour des comptes
Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes.
© Cour des comptes

Le Louvre n’est pas pauvre, a répété Pierre Moscovici. Grâce à ses 210 millions d’euros de ressources propres (billetterie, valorisation du domaine, revenus du fonds de dotation…) et aux 105 millions d’euros de subventions de l’État, il couvre largement ses dépenses de fonctionnement et dégage même un résultat positif de 19 millions d’euros en 2024. Mais compte tenu de l’augmentation des dépenses de personnel, et d’après les propres études du musée, la trajectoire va se dégrader au point de dégager seulement 1,5 million d’euros de recettes en 2029. Difficile dans ces conditions de financer le 1,1 milliard d’euros du projet « Renaissance », même en s’appuyant sur la tarification supérieure pour les visiteurs non européens qui doit entrer en vigueur en janvier 2026 ainsi que sur les recettes de mécénat.

Le financement des 481 millions d’euros du vaste schéma directeur des travaux (« Louvre Demain ») n’est lui-même pas assuré, alors que les travaux de rénovation n’ont pas encore été tous budgétisés et que l’enveloppe est dans la fourchette basse. Voilà pourquoi le rapport recommande de mettre en pause le projet « Grande Colonnade », de diminuer le budget d’acquisition et de reverser l’argent de la redevance de marque que le Louvre garde dans ses caisses au fonds de dotation afin de sécuriser le financement des travaux à moyen et long terme.

En définitive, le musée a-t-il « privilégié les opérations visibles et attractives au détriment de l’entretien du palais », comme le martèle la Cour, faisant allusion à la création du futur département des Arts de Byzance et des chrétientés en Orient comme aux acquisitions onéreuses ? Si c’était un peu vrai dans le passé, rien ne dit qu’une plus rapide mise en œuvre du schéma directeur de sûreté aurait évité le cambriolage de la galerie d’Apollon, tandis qu’il n’y a eu aucun incendie, ni inondation, ni attentats sur le parvis. L’habileté de Laurence des Cars a été de lier le vaste plan de rénovation du palais au projet « Grande Colonnade ». Mais après le rapport de la Cour sur le financement impossible de celui-ci, il va lui être difficile de maintenir le projet en l’état.

Un Point sur l’enquête

À l’heure où nous mettons sous presse, sept personnes ont été interpellées et quatre suspects dont un couple ont été mis en examen et écroués pour le vol de bijoux ayant eu lieu le 19 octobre au Louvre. Selon la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, le profil des suspects ne relève pas de la grande délinquance. L’un des quatre suspects serait un jeune d’Aubervilliers, surnommé « Doudou Cross Bitume » en raison de ses mises en scène à moto pour les réseaux sociaux. Mais cet amateurisme des voleurs, confirmé par les nombreux indices laissés sur place, ne préjuge pas de la compétence des commanditaires et receleurs. D’ailleurs, trois semaines après le vol, les bijoux n’ont pas été retrouvés et les chances de les retrouver en entier s’amenuisent de jour en jour.

7 des 8 bijoux volés dans la galerie d'Apollon au Musée du Louvre, le 19 octobre 2025
7 des 8 bijoux volés dans la galerie d'Apollon au Musée du Louvre, le 19 octobre 2025

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°665 du 14 novembre 2025, avec le titre suivant : Musée du Louvre : les questions soulevées par la Cour des comptes

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