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Le Musée d’art et d’histoire de Genève veut croire en son nouveau projet

GENÈVE / SUISSE

Après un premier projet de rénovation refusé par les Genevois, le Musée d’art et d’histoire a revu sa copie dans une perspective moins coûteuse et résolument moderne.

Le Musée d'art et d'histoire de Genève. © Photo Hodler & Co 2018.
Le Musée d'art et d'histoire de Genève.
© Photo Hodler & Co 2018.

Quatre ans après le désaveu par les habitants de Genève du projet de rénovation du Musée d’art et d’histoire de la ville (MAH), un nouveau concept de modernisation de la plus grande institution muséale de Suisse romande est sur la table. Cette nouvelle mouture a été élaborée par deux grands noms de la scène muséographique suisse, Jacques Hainard – ancien directeur du Musée d’ethnographie de Neuchâtel – et Roger Mayou – directeur du Musée de la Croix-Rouge à Genève, auteurs d’un rapport rendu public en juin 2018 ; elle offre, comme le titre le quotidien genevois Le Temps, « la promesse d’une nouvelle jeunesse » au MAH. Et la nomination surprise à la tête du musée en novembre dernier de Marc-Olivier Wahler, personnalité suisse du monde de l’art contemporain auparavant à la tête du Swiss Institute de New York, puis du Palais de Tokyo, n’est pas étrangère à ce vent frais qui paraît souffler sur Genève et son musée.

De multiples dysfonctionnements

Sis au cœur de la vieille ville dans un monumental écrin architectural signé de l’architecte suisse Marc Camoletti et inauguré en 1910, ce « petit palais » accumule depuis les années les dysfonctionnements. Le bâtiment, vieilli, nécessite une modernisation urgente d’ordre technique : électricité, ventilation, chauffage, isolation. Privées en particulier de climatisation, certaines salles d’exposition sont inaccessibles en été. Déployé sur quatre niveaux, le parcours manque de fluidité et l’accueil du public doit être entièrement repensé. Enfin, un agrandissement de sa surface paraît s’imposer, tant dans le but de mettre en valeur ses collections, que d’accueillir des expositions temporaires. Ce manque d’espace est d’ailleurs devenu le leitmotiv des directeurs successifs en charge de l’institution : « C’est au milieu du XXe siècle que l’inadéquation entre les dimensions du musée et l’ampleur des collections devient un problème majeur », analyse Jean-Yves Marin, qui a quitté ses fonctions de directeur en novembre. Et ce d’autant que les collections riches de 650 000 pièces ne cessent de s’accroître chaque année, résultat de décennies de dons et legs de particuliers genevois au musée. Côté beaux-arts, on note notamment un cabinet d’arts graphiques très fourni, avec un précieux fonds de pastels de Jean-Étienne Liotard et un ensemble de peintures anciennes et modernes de grande qualité (dont des magnifiques toiles de Ferdinand Hodler et de Félix Vallotton).

En 1998, la Ville lance une réflexion sur la réhabilitation du musée confiée à Jean Nouvel. Si le cabinet de l’architecte français repense la modernisation de l’institution, il compte, en outre, intervenir dans l’aménagement et l’éclairage de la cour intérieure et prévoit la surélévation du bâtiment de sept mètres, afin d’y installer un belvédère et un restaurant panoramique. La facture de l’opération d’abord estimée à 40 millions de francs suisses (33 millions d’euros), puis alourdie au fil des années à 140 millions (soit 126 millions d’euros) aurait été partagée entre la collectivité genevoise et plusieurs partenaires privés, notamment la Fondation Gandur qui, en échange d’un apport de 40 millions de francs suisses (33 millions d’euros) pour la rénovation, se serait vu attribuer une aile du musée pour exposer des œuvres de sa collection pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans.

Référendum local

Le projet, soumis au référendum populaire en raison de l’importance du budget, déclenche des tensions d’une rare virulence dans la cité genevoise. Venus de tous bords politiques, les opposants au projet donnèrent de la voix pendant la campagne référendaire : les uns dénoncent un « projet mégalomane » en termes de budget, les autres le « saccage d’un bâtiment historique », tandis que le « partenariat public-privé déséquilibré » faisant craindre une « privatisation du musée » en dérange plus d’un. Le 28 février 2016, le peuple genevois tranche et refuse le projet avec 54,3 % des voix. Malgré la perte de temps qu’il induit, Jean-Yves Marin retire cependant une leçon positive de cet échec : « Le débat a eu le mérite de convaincre la population de la nécessité de rénover et d’agrandir le musée. Le référendum aura servi à purger les fantasmes des Genevois sur le musée. »

Récupération de locaux

Le nouveau musée dont l’inauguration serait prévue, selon le projet actuel, en 2028, après quatre années de fermeture pour travaux, verrait le jour dans des locaux rénovés et agrandis dans le périmètre actuel du musée en s’adjoignant les locaux de l’ancienne Haute École d’art et de design (HEAD) désormais vacants. Ceci laisserait entrevoir la possibilité de créer un véritable « campus muséal au cœur de la cité », comme l’exprime le rapport Hainard-Mayou. Il ne s’agirait plus, selon Marc-Olivier Wahler, « de transformer le bâtiment existant par un geste architectural spectaculaire, mais de mettre en valeur les forces de ce musée ouvert en 1910 et de retrouver, voire de créer, son ancrage au cœur de la ville ». La feuille de route s’annonce chronométrée avec le lancement d’un concours d’architecture dès 2020.

Le gain d’espace semble acquis : aux 8 000 mètres carrés actuels de l’institution s’ajouteraient 2 000 mètres carrés entièrement dévolus à des expositions temporaires. Un centre de recherches (une Maison des savoirs), la bibliothèque d’art et d’archéologie et des espaces consacrés à la médiation culturelle achèveraient de compléter ce pôle muséal dont rêvent les auteurs du rapport.

Mais il reste au nouveau MAH l’essentiel : la mission de repenser le musée et sa muséographie, d’incarner le musée du futur. « Quels seront les nouveaux besoins des publics, des artistes, des musées ? Personne ne le sait aujourd’hui. Mais pendant les dix prochaines années, nous allons essayer de tester différents formats afin de présenter un musée qui ne soit pas obsolète au moment de son ouverture », s’enthousiasme le nouveau directeur.

Maîtres mots pour ce musée visionnaire, la transversalité et le décloisonnement s’appliquent à « un musée qui rassemble aussi bien les beaux-arts, la numismatique, l’archéologie que l’horlogerie et les arts appliqués » pour Marc-Olivier Wahler. Ce musée à la collection « encyclopédique », parfois méconnue des Genevois nécessite une nouvelle approche, un nouveau regard. « Deux tiers des pièces de la collection sont des objets à valeur d’usage, créés pour être utilisés. Le musée de demain doit prendre en compte et rendre compte de cette valeur-là, des nouvelles interprétations que ces objets peuvent accueillir au-delà de la valeur esthétique qui leur est souvent attribuée. »

Après des années d’atermoiements et de conflits, reste à convaincre les Genevois de la pertinence de ce second projet pour leur ville et pour une institution muséale contrainte à vivre, depuis des décennies, au ralenti ; une belle endormie qui attend un réveil énergique mais consensuel.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°538 du 31 janvier 2020, avec le titre suivant : Le Musée d’art et d’histoire de Genève veut croire en son nouveau projet

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