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Genève veut expérimenter le « musée du futur »

GENÈVE / SUISSE

Un an après son arrivée à la direction du Musée d’ art et d’histoire, Marc-Olivier Wahler souhaite mettre à profit la décennie qui le sépare de l’inauguration, prévue en 2029, d’un site complètement repensé et modernisé, pour tester de nouvelles écritures muséographiques.

Le musée d'art et d'histoire de Genève. © Romano1246, 2011, CC BY-SA 3.0
Le musée d'art et d'histoire de Genève.
Photo Romano, 2011

Genève. Pandémie oblige, le Musée d’art et d’histoire (MAH) de Genève a fermé une nouvelle fois ses portes le 3 novembre, alors que l’État de Genève tout entier, comme une grande partie des cantons suisses, se reconfine partiellement. Pas de répit cependant pour Marc-Olivier Wahler, à la tête de l’institution depuis une année, et sur le pied de guerre pour réfléchir au nouveau MAH qui verra le jour dans dix ans. Ce musée, qu’il dénomme « musée du futur », sera un lieu conçu pour le contexte genevois et aura pour but de « débarrasser le musée de son image autoritaire » comme de questionner la réalité des concepts d’« exposition », d’« auteur » et d’« objet ».

« Un musée encyclopédique comme le MAH doit être la maison des esprits créatifs, c’est essentiel que le visiteur le ressente dès son arrivée au musée. Tout ce qui s’y fait doit être pensé avec un esprit créatif, explique le directeur. Il faut multiplier les regards sur les objets que l’on présente, retrouver leur valeur usuelle. Un objet usuel, que ce soit une amphore ou une pièce d’horlogerie – c’est-à-dire plus d’un tiers de notre collection –,peut aussi être regardé sous cet angle-là, et non plus seulement avec un regard esthétique. L’objet gagne alors en intensité et on donne plus de liberté et de responsabilité au visiteur. »

Laboratoire d’idées, plate-forme d’échanges, le musée de demain ne sera plus un « temple des savoirs » ni un simple lieu de consommation d’œuvres d’art : « On n’y viendra pas pour consommer mais pour aiguiser son esprit créatif. D’ailleurs, dès mon arrivée, il a été décidé que nous allions arrêter avec ces grandes expositions “blockbusters” que l’on fait venir de très loin ; ça coûte très cher, mais surtout l’empreinte carbone est énorme. »

Rechercher la transversalité dans les collections

Entre le lancement du concours d’architecture et l’ouverture du nouveau MAH, c’est une période d’expérimentation qui s’ouvrira pour le musée, poursuit Marc-Olivier Wahler : « Nous avons quatre ans pour travailler sur ces expérimentations, pour trouver de nouvelles façons de montrer les objets. Nous allons rechercher cette transversalité entre les objets qui est d’autant plus évidente dans un musée encyclopédique. Il y a évidemment des sensibilités dans notre collection entre les médiums. Le Zeitgeist [« l’esprit du temps »,] me paraît à ce propos essentiel : il faut montrer que chaque pratique, chaque mouvement s’inscrit dans un contexte plus large. »

Pour ce faire, une nouvelle programmation accompagnée d’une identité visuelle élaborée par un studio de graphisme zürichois est lancée. Janvier 2021 signera le coup d’envoi d’un rythme d’expositions semestrielles « de format S, M, L et XL » avec l’exposition « Walk on Water ». Celle-ci a été imaginée par l’artiste et curatrice viennoise Jakob Lena Knebl à partir du chef-d’œuvre de peinture suisse conservé au musée, La Pêche miraculeuse (1444) de Conrad Witz . « Cette première exposition sera sans compromis par rapport à cette transversalité pluridisciplinaire, ce n’est pas une exposition d’entertainment[de « divertissement »], mais c’est un grand écart entre une culture scientifique et une culture populaire », annonce Marc-Olivier Wahler. Des curateurs extérieurs au musée seront régulièrement invités à porter un regard sur la collection, en alternance avec des expositions plus scientifiques conçues par des conservateurs du MAH.

Et le « public du futur » ?

À première vue, le Neuchâtelois de 56 ans nommé en novembre 2019 à la tête du MAH a toutes les qualités requises pour s’imposer comme l’acteur de sa modernisation. Ayant fait ses débuts dans des musées d’art suisses, Marc-Olivier Wahler, spécialiste de l’art contemporain, cofonde et dirige le CAN (Centre d’art de Neuchâtel) de 1995 à 2000. Après le Swiss Institute de New York, il prend la direction du Palais de Tokyo à Paris (2006-2012) puis est nommé aux commandes du MSU Broad Museum à East Lansing (Michigan). Sa volonté de se concentrer sur la collection muséale, comme ses préoccupations écologiques, sont dans l’air du temps ; intéressante est sa lecture d’un décloisonnement des collections encyclopédiques centré sur l’objet, comme est louable sa réflexion sur le musée de demain, sans tomber dans le piège galvaudé du « tout-virtuel ». Mais, Marc-Olivier Wahler le concède volontiers : « J’ai toujours eu une approche radicale. » Or, le MAH saura-t-il se révéler comme le lieu approprié pour une expérimentation radicale du musée ? Le fondamental, le « contenu » de la collection, ne risquera-t-il pas d’être brouillé par un discours trop conceptuel et par une mise en scène qui n’éviterait alors pas l’écueil du show tant décrié ? Si le projet peut séduire sur le papier, une composante essentielle de la vie du musée manque encore de visibilité : les publics. Décréter l’abandon d’un positionnement autoritaire du musée suffira-il à en faire « une nouvelle place publique pour Genève », selon ses termes ? Manifeste pour les objets, il est à souhaiter que le « musée du futur » soit aussi celui des visiteurs.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°555 du 13 novembre 2020, avec le titre suivant : Genève veut expérimenter le « musée du futur »

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