Politique

RÉFÉRENDUM

Votations sur la culture, un casse-tête suisse

SUISSE

Démocratie directe et culture font-elles bon ménage ? La question se pose régulièrement en Suisse où nombre d’infrastructures culturelles font l’objet d’un vote à l’échelle locale.

Le nouveau bâtiment pour le Musée d'ethnographie de Genève ouvert en 2014. © MEG.
Le nouveau bâtiment pour le Musée d'ethnographie de Genève ouvert en 2014.
© MEG

En Suisse, conformément à l’idée reçue, on vote sur tout et très souvent. Cette année, les Suisses pourraient être appelés à se prononcer sur pas moins de seize sujets de référendums, et ce, uniquement au niveau fédéral. Un record depuis vingt ans. S’y ajouteraient les thématiques qui dépendent des cantons et des communes, notamment les affaires culturelles, au même titre que la fiscalité ou l’éducation.

Pour mieux comprendre les droits politiques des citoyens suisses, il faut s’arrêter sur le principe clé de l’exception helvétique : le référendum, un droit inscrit dans la Constitution du pays depuis 1874. À l’échelle locale, c’est une obligation des autorités en cas de révision d’une loi cantonale ou de dépenses dépassant un certain montant. Mais c’est aussi un droit pour la population lorsqu’elle souhaite rectifier une décision de son exécutif (communal ou cantonal) avant sa mise en application. Chaque ville édicte ses règles en la matière : 4 000 signatures à Genève ou 10 % de la population à Lausanne sont, par exemple, exigés pour proposer un référendum à la « votation ».

L’architecte Jean Nouvel a fait les frais de cette réalité politique suisse. En 2000, il présente un projet d’agrandissement et de rénovation du Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH) estimé à 132 millions de francs suisses (110 millions d’euros) que le conseil municipal genevois acte en 2012. Un comité référendaire constitué d’associations patrimoniales et de partis politiques se constitue alors contre ce projet en réunissant un nombre plus que suffisant de signatures (6 000) pour engager un référendum.

Le 28 février 2016, le projet est rejeté à 54 % des suffrages, jugé entre autres trop coûteux (lire JDA n°538). L’architecte français confie alors à Télérama : « En Suisse, l’exercice des droits démocratiques est une quasi religion. J’en perds chez eux le sens du temps. » Il est vrai que pour un projet refusé par votation populaire, il faut compter en moyenne dix ans avant de pouvoir proposer une seconde mouture. Selon Jean-Yves Marin, à la tête du MAH au moment de la votation de 2016, « il faut accepter l’idée du temps long : environ vingt ans sont nécessaires pour réaliser un projet en Suisse. » Sans compter que, si « le premier projet est souvent flamboyant, le second est plus classique et plus consensuel. » La démocratie directe et son exigence de consensus semblent influer aussi sur la forme.

La culture aux mains des citoyens

Tous les projets ne connaissent cependant pas le sort du référendum genevois – qui relève de l’exception. Mais beaucoup sont soumis par la voie des urnes à l’approbation du peuple alors qu’ils sont déjà validés par les exécutifs cantonaux ou municipaux. L’actualité culturelle en Suisse regorge de ces votations en cours ou à venir qui décident de l’avenir d’une institution culturelle financée par des fonds publics : projet de nouveau musée d’histoire naturelle à Fribourg, d’un centre des archives cantonales à Bâle, d’un quartier des musées à Berne…

C’est aussi le cas un peu plus loin, sur les rives du lac Léman, à Lausanne. Le nouveau Musée des beaux-arts (MCBA) inauguré en octobre 2019 est précédé par une étude de 2001 qui prévoit son installation à Bellerive au bord du lac. En 2008, le référendum concernant le montant de la part cantonale au crédit d’études (390 000 francs suisses, soit 325 000 euros) destiné à finaliser le projet marque le coup d’arrêt. Avec 54,2 % des voix contre, ce scrutin s’est transformé de fait en votation pour ou contre le déplacement du musée du centre-ville en périphérie. Il a donc fallu dix-huit ans pour que, du projet initial à l’ouverture du nouvel écrin dans le quartier de la gare en pleine ville, le MCBA se concrétise – une durée que le directeur du musée, Bernard Fibicher, qualifie malgré tout de « processus rapide ».

Les limites de la démocratie directe

Même délai pour le Musée d’ethnographie de Genève (MEG, voir ill.). En 2001, 62 % des Genevois refusent la construction d’un nouveau bâtiment pour le MEG. Le second projet porté par la Ville, dix ans après cet échec, se voit une nouvelle fois soumis à référendum par une association de défense de l’environnement qui conteste l’abattage de trente et un tilleuls centenaires pour les besoins du nouveau musée. Pour Jacques Hainard, alors directeur du MEG, avec ce vote, les limites de la démocratie directe sont atteintes : « Tout le monde aime les arbres. Mais prendre ce prétexte pour mettre en question l’ensemble du projet [est] regrettable. »

Certains projets connaissent des validations plus rapides, telle la Kunsthaus de Zurich dont l’extension signée par l’architecte star britannique David Chipperfield est accepté tel quel par référendum en 2012. Mais le nouveau bâtiment ne verra le jour qu’en 2021, car le recours d’une association de protection de l’environnement a fait perdre quatre ans : en Suisse, la démocratie directe use des moyens politiques, mais aussi juridiques pour s’exprimer pleinement.

Enfin les crédits exceptionnels ou les renouvellements de subventions sont également soumis au vote, donnant la possibilité au peuple de soutenir ou de sanctionner l’orientation de la politique culturelle locale. Ainsi la Ville de Berne réussit en 2011 à obtenir l’approbation de ses citoyens par un référendum sur le crédit alloué pour les trois années suivantes à cinq de ses institutions culturelles (théâtre, musées et centre culturel), soit 33 millions de francs suisses (27,5 millions d’euros) – une gageure pour une ville sensiblement endettée qui témoigne de l’engagement pour la culture de ses habitants.

Ces votations sur les questions culturelles, bien qu’elles viennent parfois troubler la marche ou l’avenir des institutions ont au moins le mérite de « réunir une majorité de la population autour d’un projet culturel », relativise Jean-Yves Marin. Ainsi au Locle, cité horlogère du Jura, c’est par les référendums que la politique muséale de la commune semble s’élaborer. En effet, après un vote qui acte la baisse des impôts communaux et qui, par conséquent, remet en cause la survie du musée des beaux-arts local en mai 2019, sa directrice lance une pétition de soutien au musée quelque mois plus tard. Cette initiative s’acheminera peut-être vers un nouveau référendum, en faveur du maintien de l’enveloppe budgétaire attribuée au musée.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°542 du 27 mars 2020, avec le titre suivant : Les votations sur la culture : un casse-tête suisse

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