Le directeur de musée et son édile

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 20 juin 2011 - 800 mots

Les responsables de musées territoriaux doivent souvent composer avec l’interventionnisme de leurs tutelles.

En public, ils sont peu diserts sur le sujet. Mais dès lors qu’ils savent qu’ils ne seront pas cités, les langues des directeurs de musées territoriaux se délient pour faire état des difficultés rencontrées, parfois au quotidien, avec leurs autorités de tutelle. Budgets en baisse régulière, projets d’expositions scientifiques sabordés au profit de manifestations événementielles, postes non remplacés. Sans parler des petits griefs ordinaires, quand le conjoint de la première magistrate d’une ville se fend de remarques désobligeantes lors des vernissages d’exposition… Parmi les élus, ceux qui font preuve d’un interventionnisme déplacé et d’un esprit de défiance à l’encontre de fonctionnaires qu’ils n’ont pas toujours choisi ne rendent pas la vie facile aux responsables de musée. Au point que ces dissensions mènent parfois jusqu’à la rupture, comme l’ont montré quelques affaires qui ont alimenté la chronique de ces dernières années. Corinne Diserens à Nantes, Maurice Fréchuret à Bordeaux, Arnault Brejon de Lavergnée à Lille, Agnès Delannoy à Saint-Germain-en-Laye : autant de responsables de musées poussés vers la sortie pour cause de désaccord profond avec leur tutelle. Certains contentieux ont même été portés devant le tribunal administratif.

Christophe Vital, président de l’Association générale des conservateurs des collections publiques de France (AGCCPF), où une commission spéciale a été créée pour conseiller les conservateurs en difficulté, ne peut que constater cette tendance. « Le duo conservateur-élu ne fonctionne pas toujours, reconnaît-il. Mais ce problème est souvent lié aux structures mises en place au sein des collectivités, comme les directions des affaires culturelles, qui rajoutent des échelons dans la prise de décision. » Cette organisation pyramidale laisse aussi parfois à penser aux élus qu’ils pourraient se passer de conservateurs pour diriger leurs musées. Publiée début juin, l’offre d’emploi pour le poste de directeur du Musée départemental Dobrée, à Nantes, est révélatrice : elle ne fait aucunement référence à un profil de conservateur. Le conseil général souhaite sûrement trouver une personnalité « plus adaptée » à son projet : après l’éviction du conservateur ayant mis sur les rails la rénovation du musée, son successeur a jeté l’éponge quelques semaines après sa prise de fonction pour cause de désaccord sur la stratégie à mettre en place. 

La confiance des élus
Dans ces cas de divorce, les élus sont-ils les seuls responsables ? « Jadis, l’État était très présent, analyse Christophe Vital, mais il s’est retiré progressivement du fait de la décentralisation et les élus ont pris le pouvoir. Le conservateur, qui était un électron libre et était son propre patron, a eu du mal à intégrer cette nouvelle donne. Nous militons donc pour que l’Institut national du patrimoine prépare mieux les élèves à cette relation avec le monde politique. Car elle se gère et il existe des cas où cela se passe bien. » Pour le plus grand profit du musée, en général. Laurent Salomé, qui a mené toute sa carrière en région et a dirigé pendant près de dix ans les musées de Rouen, confesse, pour sa part, avoir pu travailler en totale liberté malgré l’alternance politique. « Je n’ai jamais eu à subir de pression politique déplacée. Mes compétences professionnelles ont toujours été respectées », explique celui qui vient de rejoindre la Réunion des musées nationaux (RMN), à Paris. Et de poursuivre : « Il existe aussi une façon d’éviter les problèmes, notamment en gagnant la confiance et en évitant les dérapages financiers. Mais il est évident que plus vous avez de moyens, et plus vous êtes contrôlés. »

Plus aussi vous êtes scrutés méticuleusement en termes de résultats, notamment lors de la publication du Classement annuel des musées du JdA, « que le maire regarde avec attention », admet la directrice d’un musée municipal. Cet outil suscite la circonspection de Christophe Vital, en particulier lorsque « l’élu qui le regarde voit que son musée est mal classé et s’interroge : cela vaut-il la peine d’y mettre de l’argent ? » Les élus qui ne voient pas les musées comme une simple vitrine de leur action ne semblent pourtant guère se poser la question. À Pont-Aven, une commune de 3 000 habitants, maire et conservateur entreprennent ensemble de démarcher les mécènes susceptibles de financer les travaux du musée. Qui, pour s’agrandir, annexera prochainement les locaux de… la mairie. 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°350 du 24 juin 2011, avec le titre suivant : Le directeur de musée et son édile

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