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ENQUÊTE

Nuit blanche s’éloigne de ses origines

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 6 juin 2025 - 1484 mots

La 24e édition de Nuit blanche confirme un glissement amorcé depuis quelques années : date avancée au mois de juin, horaires réduits, diminution des créations et des interventions dans l’espace public… Retour sur son histoire.

Projet de Michel Gondry, Quelle Nuit Blanche !, qui sera présenté sur le parvis de la gare Montparnasse durant l'édition 2025 de la Nuit Blanche. © Partizan
Projet de Michel Gondry, Quelle Nuit Blanche !, qui sera présenté sur le parvis de la gare Montparnasse durant l'édition 2025 de la Nuit Blanche.
© Partizan

Paris. La 24e édition de Nuit blanche a été programmée le 7 juin. Le choix de Valérie Donzelli a surpris : c’est la première fois qu’une comédienne et réalisatrice est invitée à en assurer la direction artistique. L’élargissement de Nuit blanche à la Métropole du Grand Paris concerne cette année 30 communes, mais aussi, à nouveau, les villes de Rouen et Le Havre. Le concept continue de son côté à séduire des villes à l’international. Depuis sa création par Christophe Girard, ancien adjoint à la culture de Bertrand Delanoë puis d’Anne Hidalgo, et sa première édition en 2002 signée par Jean Blaise, Nuit blanche a évolué.

« Bousculer l’ambiance de la ville »

« Quand Christophe Girard est venu me voir à Nantes, il s’agissait de programmer la formule qu’il avait imaginée d’une nuit exceptionnelle dans tout Paris », rappelle le créateur du festival Les Allumées, du Lieu unique et de Voyage à Nantes. « Une nuit qui permettrait aux publics souvent intimidés par l’art contemporain de le découvrir dans un patrimoine inhabituel et aux artistes de montrer leur travail », souligne Christophe Girard. « Dans mon esprit, il fallait que le nombre d’éditions soit limité comme pour Les Allumées, festival envisagé sur six éditions de manière à susciter l’intérêt, la frustration du public, précise Jean Blaise. Le principe d’inviter des artistes d’un grand port à investir Nantes de 18 heures à 6 heures du matin avait connu un grand succès. Pour Nuit blanche, le pari était de faire entrer le public dans les endroits méconnus, insolites de la ville et dans des lieux très emblématiques avec des propositions artistiques inattendues, uniques qui bousculaient l’ambiance de la ville. »

La première édition programmée la nuit du 5 au 6 octobre 2002, de 18 heures à 6 heures du matin, s’articulait autour d’une trentaine de créations (installations artistiques, spectacles, projections, concerts…) répartis dans 25 lieux et d’une cinquantaine de projets associés avec des musées, mais aussi le siège du Parti communiste, le funiculaire de Montmartre, l’École Estienne, les serres André-Citroën…

Leçons d’œnologie de Dominique Hutin et concert d’Arthur H dans le sous-sol dans des anciennes pompes funèbres de la ville (futur « Centquatre »), installation d’un lit par Sophie Calle au 4e étage de la tour Eiffel pour recueillir les histoires des personnes du public, fenêtres et vitrines de la rue Oberkampf revisitées (Yann Toma, Isabelle Lévénez), piscines municipales accessibles jusque tard dans nuit, tour T2 de la BNF transformée en Game Boy géante… : la programmation entièrement gratuite, organisée dans le 20e arrondissement de la capitale, avait accueilli 500 000 personnes selon les organisateurs, connu de longues heures de files d’attente pour certains lieux et coûté 1,4 million d’euros financé par la Ville et différents mécènes.

Des profils art contemporain à la direction

L’agression au couteau de Bertrand Delanoë à 2 h 30 du matin dans la salle des fêtes de la Mairie de Paris, ouverte au public, n’entama pas la volonté du maire de réitérer l’opération. Jean Blaise déclina cependant la proposition qui lui fut faite d’assurer la deuxième édition. Son organisation fut confiée à six commissaires dont Ami Barak, Camille Morineau et Suzanne Pagé, soit des profils plus spécialisés que le sien, à la croisée des arts.

Excepté le retour de Jean Blaise en 2005 et le choix de Didier Fusillier pour l’édition 2019, José-Manuel Gonçalvès pour celles de 2014 et 2015 ou Kitty Hartl pour 2022 et 2023, la direction artistique de Nuit blanche, jusqu’à la carte confiée à Valérie Donzelli, a été assurée essentiellement par des hommes et des femmes de l’art contemporain à l’image de Claire Tancons pour l’édition 2024. Nombre d’eux sont, ou ont été, des responsables d’institution tels les duos Nicolas Bourriaud-Jérôme Sans (2006) puis Alexia Fabre-Frank Lamy (2009 et 2011), Martin Bethenod (2010), Laurent Le Bon (2012), Chiara Parisi-Julie Pellegrin (2013), Jean de Loisy (2016). Hervé Chandès s’associa en 2008 avec Ronald Chammah, producteur et distributeur de films. Si les éditions récentes tendent à équilibrer la représentation des femmes à la direction artistique (18 contre 26 hommes), le choix de Valérie Donzelli pour Nuit blanche 2025 tranche donc. Carine Rolland, adjointe à la Mairie de Paris chargée de la culture, l’explique « par son travail cinématographie connu et ses convictions sur le vivre-ensemble. La volonté n’était pas de proposer la direction artistique à quelqu’un qui donnerait un sursaut de notoriété, mais de diversifier la programmation ».

Une programmation qui, depuis sa première édition, s’est étoffée d’un quart en nombre de projets (malgré une légère baisse cette année – 114 contre 125 en 2024), mais qui surtout enregistre en 2025 une diminution importante de ceux relevant du strict périmètre de la direction artistique : 11 seulement sur 114, dont 5 créations spécialement pour cette Nuit blanche (ainsi un film et une installation sonore de Michel Gondry, et un parcours sonore dans les catacombes proposé par Xavier Donzelli). Soit deux fois moins qu’en 2024. La programmation associée constitue ainsi la quasi-totalité des projets artistiques, et elle est principalement proposée par les musées et établissement culturels de la Ville : 80 sur 103 – dont « les centres culturels étrangers invités à participer à Nuit blanche, de plus en plus nombreux », souligne la Ville de Paris. Les 23 autres projets proposés dans des lieux patrimoniaux, équipements municipaux, tiers-lieux ou dans l’espace public émanent d’artistes retenus dans le cadre de l’appel à projet lancé par la direction des affaires culturelles de la Ville ; celle-ci a reçu 100 candidatures en 2025 et alloué un budget de 122 000 euros à l’ensemble des artistes sélectionnés.

Si la Nuit blanche réserve encore des moments forts et étonnants, elle s’est éloignée de son format initial. Face aux mécontentements de riverains causés par les nuisances sonores, elle a réduit sa durée et la quasi-totalité des événements n’est pas programmée au-delà de minuit – exceptionnellement 2 heures du matin. Parallèlement, son budget 2025, de 1 million d’euros auquel s’ajoutent 150 000 euros de mécénat, a baissé comparé à celui de 2013 où il s’élevait à plus de 1,6 million d’euros dont 1,2 million financé par la Ville et 400 000 euros par des partenaires privés. Si la part consacrée à la création n’est pas prédéfinie dans le budget, la Ville de Paris reconnaît renoncer à « des éditions comportant un maximum d’œuvres produites ».

Un élargissement de territoire et un changement de calendrier

Nuit blanche est aussi devenue le reflet d’ententes politiques que marque en 2019 l’élargissement de la manifestation à la Métropole du Grand Paris ; Patrick Ollier, son président, avait alors accordé 200 000 euros aux six communes participantes : Aubervilliers, Saint-Denis, Gennevilliers, Gentilly, Rueil-Malmaison et Vincennes. Leur nombre s’élève aujourd’hui à 30, celui des projets artistiques à 120, et la participation financière de la Métropole à la programmation à 580 000 euros sur un budget total de 1,2 million d’euros.

La participation de Rouen et du Havre depuis 2023 relève elle aussi de décisions politiques, produit de l’Entente Axe Seine. Ce dispositif créé fin 2022 par la Métropole du Grand Paris, la Ville de Paris, la Métropole Rouen-Normandie et Le Havre-Seine métropole permet de coordonner des projets économiques liés en particulier au transport et à l’énergie.

L’année 2023 est également celle d’un changement de calendrier pour Nuit blanche, déplacée d’octobre à juin à la suite d’une consultation lancée à l’occasion des 20 ans de la manifestation auprès des Parisiens et métropolitains pour en choisir la période idéale. « Ils sont 64,5 % à avoir opté pour le mois de juin », affirme-t-on à la Ville de Paris sans préciser le nombre de votants. La perspective des Jeux olympiques ne fut certainement pas étrangère à cette décision. L’édition 2024 a ainsi été un des temps forts de l’Olympiade culturelle, incluant nombre de projets liant art et sport.

Ce déplacement de l’automne au printemps laisse circonspects nombre de ceux et celles qui ont œuvré à sa réalisation, ce pour trois raisons : mai-juin est une période riche à Paris en propositions artistiques et événements : la Nuit des musées, la Fête de la musique ou We Love Green, festival de musique organisé depuis dix ans le premier week-end de juin et que vient télescoper Nuit blanche ; tout le monde est dehors, aux terrasses des cafés, dans les parcs. La nuit tombe tard, pas avant 22 heures-22 h 30. Les projets doivent intégrer ce paramètre, ce qui dénature le concept originel. Selon la Ville de Paris, cette nouvelle date n’a pas modifié le niveau de fréquentation, estimé à 1 million de personnes chaque année. D’après le « Baromètre 2025 des publics des musées et des lieux patrimoniaux », la Nuit blanche n’est toutefois connue que par 28 % des Français, loin dernière les Journées du patrimoine (63 %), sa notoriété s’élevant à 49 % chez les Franciliens et sa fréquentation à 12 %.

Nuit blanche 2025,
le 7 juin, toute la programmation sur paris.fr/nuit-blanche-2025

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°657 du 6 juin 2025, avec le titre suivant : Nuit blanche s’éloigne de ses origines

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