Politique culturelle

Capitales européennes de la culture, le jour d’après

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 8 février 2019 - 1841 mots

EUROPE

Les Capitales européennes de la culture peuvent être de formidables catalyseurs du changement et de véritables moteurs de développement économique pour autant que la dynamique soit maintenue dans les années qui suivent « l’année capitale ».

La fontaine réalisée par Jaume Plensa dans le centre de Leeuwarden, aux Pays-Bas, dans le cadre des manifestations organisées en 2018 pour la Capitale européenne de la culture
La fontaine réalisée par Jaume Plensa dans le centre de Leeuwarden, aux Pays-Bas, dans le cadre des manifestations organisées en 2018 pour la Capitale européenne de la culture
© Photo : Het Hoge Noorden

En 1952, le Premier ministre italien, Alcide de Gasperi, avait qualifié de « honte nationale » les conditions de vie misérables de ses habitants logés dans des habitats troglodytes creusés dans la roche (les Sassi), sans lumière ni eau courante. Six décennies plus tard, le 19 janvier 2019, jour de la cérémonie d’ouverture baptisée « Open the futur », Matera, ville de 60 000 habitants du Basilicate, dissimulée dans la semelle de la botte italienne, est devenue Capitale européenne de la culture. Aux côtés de Plovdiv, la deuxième ville bulgare (300 000 habitants), située au sud-est de Sofia. Les deux villes portent les dossards 59 et 60. Avant elles, 58 villes ont endossé le label de Capitale européenne de la culture. Un programme lancé en 1985 par Melina Mercouri, qui était alors ministre de la Culture de la Grèce.

Son objectif ? Mettre l’accent sur la richesse et la diversité des cultures d’Europe et sur leurs valeurs communes pour favoriser un sentiment d’appartenance. Durant les vingt premières années, les villes sélectionnées étaient des capitales ou de grandes métropoles à l’image de Paris en 1989, Madrid en 1992, Anvers en 1993, Bologne en 1999 ou Salamanque en 2002. Aujourd’hui, ce sont souvent des villes de second rang. Qui connaissait Umea (ville suédoise située à 650 km au nord de Stockholm, Capitale européenne de la culture 2014), Kosice (Slovaquie, en 2013) ou encore Pilsen (République Tchèque, en 2015) avant qu’elles ne soient désignées ? Depuis 2009, les heureuses élues évoluent en binômes : une ville issue d’un « ancien » État membre, (Leeuwarden aux Pays-Bas en 2018) est flanquée d’une autre venue d’un nouveau membre (La Valette, minuscule capitale de Malte l’an passé).

« Le titre de Capitale européenne de la culture est un peu comme celui d’une ville olympique, un formidable accélérateur et catalyseur du changement », s’enthousiasme Didier Fusillier, le grand ordonnateur des festivités de Lille 2004, et conseiller artistique de Lille 3000. C’est sans aucun doute grâce à la dynamique enclenchée il y a quatorze ans que la métropole lilloise vient d’être élue capitale mondiale du design 2020. « “Quand on est Capitale européenne de la culture, on l’est pour toujours”, me disait, il n’y a pas si longtemps, Éric Antonis, le directeur d’Anvers 1993 », pointe Didier Fusillier qui est aussi le président de l’Établissement public du parc et de la Grande Halle de La Villette. Capitale « pour toujours », à condition d’avoir, au préalable, construit un projet solide fondé sur une vision d’avenir et élaboré une stratégie culturelle à long terme.

Oeuvre réalisée à Umea, lors du week-end de lancement des festivités pour la Capitale européenne de la culture, 2014
Oeuvre réalisée à Umea, lors du week-end de lancement des festivités pour la Capitale européenne de la culture, 2014
© Photo : Fredrick Larsson

L’année capitale fait le plein

La plupart des villes capitales n’ont pas lésiné sur les investissements de départ. Marseille a déboursé 98 millions d’euros en 2013, Mons (Belgique) 70 millions en 2015, Aarhus (Danemark) 62 millions en 2017 et « Essen for the Ruhr » (Allemagne) 61,5 millions en 2010, contre « seulement » 27 millions pour Riga (capitale de la Lettonie) en 2014. Les ressources sont souvent à plus de 80 % à 90 % publiques. Rares sont les villes qui, à l’image de Liverpool ou de Marseille, parviennent à réunir au moins 20 % de fonds privés.

Parades, feux d’artifice, rassemblements populaires et expositions à succès font exploser les compteurs : plus de 18 millions de visiteurs à Liverpool en 2008, 11 millions en 2013 pour Marseille-Provence, 9 millions Lille à en 2004. Les musées et lieux d’exposition enregistrent tous des hausses de leur fréquentation, très variables selon les villes : +10 % à Madrid en 1992, + 68 % à la Tate de Liverpool en 2008. À Marseille, l’exposition « Le Grand Atelier du Midi » a attiré plus de 460 000 visiteurs. À Lille, l’exposition consacrée à Rubens a accueilli plus de 300 000 visiteurs. « Nous avons dû concevoir en toute urgence une plateforme de réservation de billets. Et ouvrir l’exposition jusqu’à 22 heures », se souvient Didier Fusillier. Une augmentation en flèche de la fréquentation dont témoigne l’affluence dans les offices de tourisme (+ 168 % à Lille, + 211 % à Mons, et + 27 % à Marseille) et une croissance des nuitées de 12 % en moyenne, certaines villes grimpant à près de 25 %. Les « villes capitales » attirent avant tout un public culturel d’un niveau d’éducation élevé et issu de la classe moyenne.

La grande transhumance organisée pour Marseille-Provence 2013, arrivant devant le Mucem
La grande transhumance organisée pour Marseille-Provence 2013, arrivant devant le Mucem
© Photo : Lionel Roux / Théâtre du Centaure

Le jour d’après

Mais, attention, une fois l’année écoulée, le soufflé retombe vite si rien n’est fait pour faire perdurer la dynamique dès l’année qui suit l’événement, révèle une étude de 2013 du Parlement européen intitulée Capitales européennes de la culture : stratégies du succès et effets à long terme. Et ce, tant pour la fréquentation des lieux culturels que pour l’hébergement hôtelier. Que reste-t-il après que les lampions se soient éteints et que les rideaux de scène soient retombés ? Dans le meilleur des cas une métamorphose de l’image de la cité comme à Liverpool en 2008. La ville des Beatles, longtemps associée au déclin économique, au chômage, à la pauvreté et à la violence urbaine, est devenue alors, aux yeux des visiteurs et des observateurs, une métropole des arts, de la culture et des industries créatives. Marseille 2013, grâce au réaménagement de son centre-ville (restructuration de la façade maritime de la ville et transformation du Vieux-Port en l’une des plus grandes places publiques d’Europe) et la remise à niveau de ses institutions culturelles, a suscité un réel sentiment de fierté des habitants et modifié l’image de la ville auprès des visiteurs, français et étrangers, qui l’associent désormais volontiers à une cité culturelle et patrimoniale.

Outre l’évolution de l’image de marque, les transformations s’accompagnent parfois d’une refonte complète des villes comme dans la cité phocéenne ou à Kosice (2013), une ancienne cité industrielle slovaque devenue le carrefour touristique et culturel des Carpates grâce à la création de nouvelles institutions culturelles. Lille et les villes qui l’entourent ont connu les mêmes bouleversements avec une floraison de constructions et de rénovations : ouverture du Tripostal et des Maisons Folies, réhabilitation de la gare Saint-Sauveur, ouverture de la Piscine à Roubaix et mutation du Musée des beaux-arts Eugène Leroy à Tourcoing.

Une fois les lumières éteintes, il faut faire les comptes. Les retombées économiques des Capitales européennes de la culture peuvent être conséquentes. C’est à Liverpool qu’elles ont été les plus fortes : plus de 980 millions d’euros. Les retours sur investissements sont souvent trois à six fois plus importants que les mises de départ. À Lille, un euro investi a généré six euros de retour sur investissement, comme à Mons peu ou prou. À Aarhus, le rapport était de un à trois. « À Umea, les 10 millions d’euros investis par la municipalité ont généré 45 millions d’euros de revenus totaux », précise Fredrik Lindegren, le responsable des services culturels de cette métropole septentrionale, devenue la ville de Suède qui investit le plus par habitant dans la sphère culturelle.

Vue générale de Matera, en Italie, Capitale européenne de la culture en 2019
Vue générale de Matera, en Italie, Capitale européenne de la culture en 2019
© Photo : Luca Lancieri

Une vision à long terme

Les clés du succès ? Les capitales qui réussissent le mieux sont celles qui arrivent à intégrer les objectifs de « l’année capitale » dans les stratégies culturelles de la ville ou de la région, souligne-t-on à la Commission. Il faut aussi, outre des ressources suffisantes, des objectifs clairs, une direction et une volonté politique fortes, et une programmation solide. Cette gouvernance forte et stable a souvent fait défaut comme à Pilsen, en 2015, où le directeur de la manifestation a été parachuté six mois avant le lancement de la cérémonie d’ouverture à Saint-Sébastien, après plusieurs changements de directeurs ; ou encore à Marseille-Provence 2013, où Bernard Latarjet, le premier directeur général, a été remplacé au printemps 2011, moins de deux ans avant le début des manifestations.

« Partout, les Capitales européennes de la culture ont suscité des tensions dans les structures de gouvernance. Ce sont des objets uniques à l’interférence de l’économique, du culturel et du social. Tout le monde veut en être. Mais, à un moment il faut faire des choix, car il y a des limites financières et cela crée forcément des grincements de dents », explique Jean-François Chougnet, l’ancien patron de Marseille Provence 2013 devenu président du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée.

Comme nombre de « villes capitales », Marseille n’a pas su véritablement pérenniser la dynamique après 2013. Il a fallu attendre cinq longues années pour que la machine soit relancée, en février 2018, avec MP 2018, à l’initiative d’acteurs économiques. En matière d’effet rebond, Lille fait figure d’exemple. « C’est le bilan très positif de Lille 2004 qui nous a permis de faire Lille 3000. Nous avions vendu 3 millions de billets et gagné 2,5 millions d’euros qui ont été réinvestis. Nous avions créé une telle dynamique qu’il n’était pas imaginable de s’arrêter », précise Didier Fusillier.

Dans ce registre, Aarhus est un des autres bons élèves de la classe. La deuxième ville du Danemark a su, dès le départ, mener une réflexion sur l’après 2017. L’objectif pour elle était clair. Il s’agissait de faire émerger le sentiment d’appartenance à une nouvelle région – le Jylland central créée en 2007 par regroupement de plusieurs départements – dont elle est devenue la capitale, en montrant que toutes ses entités partagent une destinée commune. Aarhus montre ainsi la voie aux capitales européennes des prochaines années qui seront régies par deux nouvelles règles du jeu introduites par la Commission à compter de 2020 : intégrer « l’année capitale » dans la stratégie culturelle de la ville et travailler, dès la conception du projet, avec les forces vives de la ville et les citoyens. Des principes que Leeuwarden 2018, Capitale européenne de la culture résolument participative, a, elle aussi, parfaitement intégrés.

 

Commission européenne : peut mieux faire  

AUDIT ET COMMUNICATION. Chaque année après la clôture des « villes capitales », la Coordination des capitales européennes de la culture, structure dépendant de la Commission, réalise sa propre étude durant l’année qui suit celle du titre. Cette étude, relativement modeste, repose en grande partie sur les données collectées par les villes. Depuis une dizaine d’années, les villes ont pris, de leur côté, l’habitude de mener leurs propres évaluations qui sont confiées tantôt à des cabinets spécialisés, tantôt à des universités et parfois aux deux afin de disposer de plusieurs éclairages. Il est dommage que la Commission ne prenne pas en charge la réalisation d’études comparatives des résultats économiques des capitales européennes de ces dix à vingt dernières années. « Nous projetons de le faire, mais nous disposons d’un budget peu conséquent. Plus nous consacrons de subsides à la réalisation d’études, moins nous disposons de financements consacrés aux projets culturels », se défend-on à la Commission. Yves Vasseur, ancien commissaire général de la Fondation Mons 2015, déplore de son côté, que la Commission n’investisse pas dans le branding. « Personne ne sait ce qu’est une Capitale européenne de la culture. La Ligue (européenne) des champions de l’Uefa [Union des associations européennes de footbal], est en revanche, très célèbre. L’Europe devrait investir sur ce point précis », insiste-t-il. Notre budget ne nous permet pas de réaliser une campagne de communication dans les 28 états membres, répond-on à la commission. Éric Tariant

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°516 du 1 février 2019, avec le titre suivant : Capitales européennes de la culture, le jour d’après

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