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Leeuwarden, une capitale de la culture participative

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 6 février 2018 - 1379 mots

LEEUWARDEN / PAYS-BAS

Leeuwarden, principale ville de Frise, au nord des Pays-Bas, a été désignée pour cette année capitale européenne de la culture avec La Valette (Malte). Une impulsion pour la ville qui a imaginé un vaste programme de 183 projets culturels construits autour d’un projet participatif et durable.

Jaume Plensa, <em>La Fontaine Amour</em>, réalisée dans le cadre du projet 11 Fontaines
Jaume Plensa, La Fontaine Amour, réalisée dans le cadre du projet 11 Fontaines
© Wietze Landman

Pays-Bas. Il est 21h30. La Wilhelminaplein, l’une des principales places de la ville, est noire de monde en ce samedi 27 janvier. C’est le grand jour pour Leeuwarden, l’aboutissement de plus de quatre années de préparatifs. La place à l’extrémité de laquelle la Oldehove, une tour penchée de 39 mètres de hauteur (1529), emblème de la ville, a été reconstituée à l’aide d’échafaudages, est balayée par les vents. Les spectateurs, douchés depuis des heures par une pluie fine, attendent patiemment l’arrivée du roi des Pays-Bas, Willem-Alexander, et de la reine Máxima, chargés de donner le coup d’envoi de la manifestation.

L’eau est omniprésente à Leeuwarden, la capitale frisonne quadrillée de canaux comme dans toute la province, où les trois quarts des terres se situent au-dessous du niveau de la mer ; omniprésente dans ce damier de polders, ce foisonnement de lacs, d’îles, d’étangs artificiels et de tourbières. L’emblème du drapeau frisien, qui est aussi celui de Leeuwarden 2018, est un nénuphar et symbolise cette contrée majoritairement agricole. Plus grande des douze provinces des Pays-Bas, la région compte près de 650 000 habitants, et « 28 000 chevaux, 100 000 moutons, 500 000 vaches et 9 millions de poulets », s’amusent les auteurs d’un guide humoristique brocardant l’esprit frondeur et fier des Frisons. Le visiteur ne sera pas surpris d’observer dans un tel contexte que la nature, les éléments – l’eau tout particulièrement – et l’impératif de mieux les préserver, constituent l’un des fils directeurs de Leeuwarden 2018.

Un esprit communautaire

Les onze principales communes de la région sont reliées par un réseau de canaux de 200 kilomètres sur lequel s’est longtemps déroulée une compétition de patinage de vitesse. La Elfstedentocht n’est plus organisée depuis vingt ans, faute de glace. Pour relancer ce parcours cher aux Frisons et relier les habitants de ces villes et villages, les organisateurs ont imaginé un parcours artistique balisé par onze fontaines. Celles-ci ont été commandées à onze artistes internationaux de nationalités différentes. Ces derniers sont venus vivre sur place quelque temps pour s’imprégner des cultures et traditions locales avant de dessiner leur projet. Les habitants de chacune de ces communes ont, eux, été invités à se réunir au sein des Commissions des fontaines. Leur rôle ? Animer et piloter des réunions publiques de façon à choisir collectivement le thème de l’œuvre et le lieu de son implantation. La population a pu rencontrer les artistes et conter à leurs illustres visiteurs l’histoire de leurs villages. « C’est la première fois, à ma connaissance, qu’un projet artistique repose sur une telle participation populaire », souligne Anna Tilroe, la directrice artistique du projet. Love, une sculpture de Jaume Plensa de 7 mètres de hauteur et figurant les visages d’un jeune garçon et d’une jeune fille, les yeux fermés, se faisant face, trône aujourd’hui sur la place de la gare de Leeuwarden. Leurs bustes émergent de la brume, une caractéristique climatique omniprésente au petit matin dans ces terres gorgées d’eau. Pour Dokkum, ville fortifiée, parcourue de canaux et de petites maisons à pignons à redents, Birthe Leemeijer a conçu la Ice Fountain en souvenir de l’hiver très rigoureux de 1963 durant lequel une partie des eaux de la mer du Nord a gelé. À Franeker, Jean-Michel Othoniel, a réalisé une fontaine-sculpture en hommage à une figure de la commune, l’astronome Jan Hendrik Oort (1900-1992). À Sneek, capitale des sports nautiques de la Frise, Stephan Balkenhol a imaginé un homme perché sur un globe doré tenant entre ses mains une corne d’abondance de laquelle s’écoule l’eau, symbole de vie. À Sloten, Lucy & Jorge Orta, vont installer une sculpture figurant une jeune fille perchée sur les épaules d’un homme qui se tient debout sur des seaux d’eau, jerricans et autres barils. La jeune fille tient dans sa main un vanneau huppé, une espèce d’oiseau menacée par l’agriculture industrielle. Ces onze sculptures seront inaugurées le 18 mai en présence des artistes.

Un programme tourné vers la nature

« Sense of place » est un autre projet artistique lié aux éléments, à la mer des Wadden en l’occurrence. Ces terres gorgées d’une eau chargée de vase, délimitées par un chapelet d’îles éponymes, sont inscrites au Patrimoine mondial de l’Unesco. Sous la houlette de Joop Mulder, une vingtaine de sculptures naturelles, proches du land art, vont être installées, au cours des prochains mois et années, le long du littoral. À Holwerd, une immense sculpture de cent mètres de long et d’une dizaine de mètres de haut, faite de terre et de végétaux, œuvre de Nienke Brokke, représentera une femme nue allongée au milieu des landes. « C’est la patronne du Nord », sourit le commissaire de la manifestation en désignant une carte postale représentant Dijk Van een Wijf. Dès le printemps 2018, les visiteurs pourront découvrir à pied ou à vélo les premières étapes de cette route de l’art. Là aussi, le projet a été précédé de multiples consultations des habitants. « L’une des devises de la manifestation est osons rêver, agir et vivre différemment en travaillant ensemble au sein d’une communauté ouverte. Nous voulons montrer que le changement est possible et que la culture peut-être un vecteur de changement », insiste Claudia Woolgar, une des responsables de la programmation qui est aussi la porte-parole de Leeuwarden 2018.

Les Pays-Bas sont l’un des principaux producteurs de pommes de terre au monde et la Frise l’un des bastions bataves de ce tubercule. Le programme « Potatoes go wild » vise à valoriser les métiers agricoles et à favoriser les rencontres entre les villes et les campagnes. « Il s’agit d’éduquer les populations, de les aider à prendre conscience d’où viennent leurs aliments et comment ils sont cultivés »,explique Froukje de Jong, l’épouse d’un paysan et syndicaliste agricole frison. Au programme : une vingtaine d’expositions estivales organisées, à la ferme, dans des granges, avec l’appui de plasticiens hollandais, une route de sculptures et moult performances et programmes théâtraux plantés au milieu des champs. Leeuwarden 2018 prendra aussi des couleurs résolument écologistes avec « Silence of the bees », une série de concerts et de performances musicales reconstituant le chant des abeilles, de façon à sensibiliser et alerter les populations sur les ravages de l’agro-industrie chimique qui a conduit à un effondrement mondial de ces populations d’insectes.

De Mata Hari à Dada

Plusieurs grandes expositions d’art plastique se tiendront, toute l’année 2018, à Leeuwarden principalement, mais aussi à Drachten, la ­deuxième ville de la région. « Mata Hari, la jeune fille et le mythe », qui ouvre la saison (jusqu’au 2 avril), est une exposition-portrait centrée sur la figure de Margaretha Geertruida Zelle. Cette célèbre courtisane et danseuse de danse orientale, née en 1876 à Leeuwarden, accusée au début de la Première Guerre mondiale, de collaboration avec l’Allemagne, a été exécutée il y a cent ans. « Escher Journey, l’art de l’impossible » (28 avril-28 octobre), est un hommage à Maurits Cornelis Escher, un autre Frison, célébré, quant à lui, pour ses gravures inspirées de l’univers des mathématiques.

Le musée de Drachten, Museum Dr8888, possède une belle collection Dada et De Stijl, composée notamment d’œuvres de Kurt Schwitters, Thijs Rinsema, Ids Wiersma et Theo Van Doesburg. Ce dernier noua des liens d’amitié avec deux artistes de la ville, les frères Evert et Thijs Rinsema. Dans les années 1920, Van Doesburg fit peindre de couleurs primaires seize maisons de la ville que l’on peut voir, aujourd’hui, dans le « quartier du perroquet ». Paulo Martina, le directeur du musée, proposera tout au long de l’année un programme d’expositions sur le thème de Dada et de l’expressionnisme frison. À noter également au Groninger museum, à Groningue, une exposition célébrant les 100 ans du groupe d’artistes De Ploeg (26 mai-4 novembre) et une autre, intitulée « Romantisme dans le Nord, de Friedrich à Turner », qui réunira une centaine d’œuvres d’artistes hollandais, allemands, scandinaves et britanniques. Romantiques, les Frisons, habitués depuis des siècles, à se défendre contre les vagues de la mer du Nord, sont aussi des hommes engagés. C’est ici que les idéaux révolutionnaires de 1789 ont été accueillis le plus favorablement. C’est ici aussi que les partis communiste et socialiste bataves ont été fondés.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°494 du 2 février 2018, avec le titre suivant : Leeuwarden, une capitale de la culture participative

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