Musée

Les musées planchent sur l’après-coronavirus

Par Fabien Simode · Le Journal des Arts

Le 18 mai 2020 - 1262 mots

FRANCE

Baisse des subventions et de la fréquentation, ralentissement de la programmation, l’avenir s’annonce sombre pour les musées, petits et grands. Pourtant, certains voient dans la crise actuelle l’opportunité de renouer avec leurs collections et de tisser un lien différent avec le public.

Le robot-vidéo téléguidé du Louvre-Lens. © Photo F. Iovino.
Le robot-vidéo téléguidé du Louvre-Lens.
© Photo F. Iovino.

France. « Il faut fonder le concept de progrès sur l’idée de la catastrophe. Que “les choses continuent comme avant”, voilà la catastrophe », a pu écrire en un autre temps Walter Benjamin. De fait, après deux mois de confinement, les musées ne voient pas comment les choses pourraient redevenir « comme avant ». Depuis plusieurs jours, Sébastien Delot, directeur du LaM à Villeneuve-d’Ascq (Nord), étudie avec ses équipes comment combiner les flux de visiteurs et le respect des consignes sanitaires. Dissocier l’entrée de la sortie, dessiner des marquages au sol, distribuer des masques…, toutes les mesures de précaution sont étudiées, jusqu’aux plus inattendues – faut-il ou non débrancher le distributeur automatique de café dans les espaces d’accueil ?

Repenser le lien avec les scolaires

À Orléans, la directrice des Musées de la Ville, Olivia Voisin, travaille elle aussi à l’accueil du public, au travers de visites individuelles sur réservation. Compte tenu de la contagiosité du Covid-19, hors de question de s’attrouper devant le bâtiment, encore moins d’accueillir des groupes, à commencer par les scolaires. Ne faut-il pas alors déplacer le musée à l’école ? « Les œuvres ne peuvent pas sortir du musée, rappelle Olivia Voisin. Mais, certaines pièces étant moins fragiles que d’autres, nous pourrions imaginer des caisses sécurisées transportables dans les classes. »

À la pointe sur le sujet de la médiation, le Louvre-Lens (Pas-de-Calais) projette d’ores et déjà d’étendre aux scolaires ses visites à distance, grâce à son robot-vidéo téléguidé. Expérimenté avec succès auprès des personnes hospitalisées, ce dispositif pourrait permettre aux enfants de « déambuler », accompagnés d’un médiateur, dans la galerie du Temps, sans avoir à venir au musée.

La révélation numérique

De fait, l’enjeu pour les musées est aujourd’hui de maîtriser les flux sans rompre le lien avec leurs publics français et étrangers. En cela, le numérique est apparu pendant le confinement comme une alternative. « Le musée est temporairement fermé. Restons en contact sur les réseaux sociaux Instagram, Twitter et Facebook », pouvait-on lire sur la page d’accueil du site Internet du Musée des beaux-arts de Lyon. Résultat, les musées ont vu leur fréquentation numérique exploser. « Le Louvre.fr a gagné 7 millions de nouveaux visiteurs en quatre semaines. C’est incroyable ! », se réjouit Dominique de Font-Réaulx, directrice de la médiation et de la programmation culturelle au Louvre. Incroyable en effet, pour ne pas dire miraculeux, tant les musées accusaient du retard en la matière.

Coloriages et jeux des 7 erreurs sur le site du musée de Lyon, atelier de sculpture sur pomme de terre (« patat’Arp ») sur celui du Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, kit pour concevoir un jeu d’« escape room » associé à l’exposition « Jean Ranc » fourni par le Musée Fabre à Montpellier, sans oublier les traditionnelles visites virtuelles et la mise en ligne des conférences : les institutions ont réussi à bricoler en quelques jours une offre culturelle qui les a propulsées dans les foyers. C’est le paradoxe : « Beaucoup de gens ont découvert le musée pendant le confinement. À nous d’être intelligents et inventifs pour les garder », enchérit Dominique de Font-Réaulx, qui livre quelques pistes : « Augmenter l’offre de contenu par rapport à l’information “pratique”, intégrer plus de récits, etc. »

L’« expérience visiteur » au centre du musée

Mais cela ne risque-t-il pas d’éloigner un peu plus le public des œuvres ? « La rencontre physique avec l’œuvre reste magique », assure Marie Lavandier, qui perçoit au contraire, dans les messages laissés sur les réseaux sociaux, « un besoin de venir au musée ».« Le numérique est aussi un moyen de susciter l’envie », affirme la directrice du Louvre-Lens. C’est d’ailleurs l’une des pistes qu’elle souhaite explorer : développer l’expérience du visiteur. « La course aux chiffres de fréquentation va connaître un coup d’arrêt. Nous allons devoir revenir à une vision plus individuelle de l’art, plus proche de la vie de chacun. » L’art contemporain, fondé sur le rapport du visiteur à l’œuvre, pourrait donc y trouver son compte, comme le développement du « hors les murs » qui permettrait d’aller à la rencontre du public. « Pourquoi ne pas imaginer des “expositions” chez l’habitant, dans les appartements ? », s’interroge Marie Lavandier.

De même, Olivia Voisin voit dans la crise déclenchée par le Covid-19 l’opportunité pour le musée de remettre sa mission patrimoniale au centre de ses activités. « L’énergie et le temps consacrés aux expositions temporaires nous a détournés, conservateurs, élus et public, de nos collections », estime la directrice des musées orléanais. Et de souligner quelques non-sens : à Paris, une exposition « Vermeer » a pu enregistrer près de 325 000 visiteurs en l’espace de trois mois, « alors que la salle du peintre au Louvre reste vide une fois les tableaux revenus à leur place ».« Le public plébiscite les expositions temporaires, mais délaisse les collections », poursuit la directrice d’Orléans. « Il ne faudrait pour autant pas renoncer à ces expositions, tempère Christophe Leribault, directeur du Petit Palais à Paris. Les blockbusters permettent à des visiteurs qui ne viendraient pas autrement de venir au musée. Il faut veiller à ne pas rester dans un entre-soi. »

La fin des blockbusters ?

Les grandes expositions ont-elles du plomb dans l’aile ? D’après Marie Lavandier, qui doit reporter son exposition « Les Louvre de Picasso » d’un an, « on mettra à l’avenir davantage en rapport le coût et la durée d’une exposition avec le nombre de visiteurs susceptibles de la voir ». Car, sans parler du ralentissement du transport aérien qui va pénaliser les mouvements d’œuvres et le déplacement des touristes étrangers, la facture du Covid-19 s’annonce élevée. Les moyens des musées, qu’ils soient nationaux, municipaux, privés ou associatifs, n’échapperont pas aux coupes budgétaires. « On ne pourra plus concevoir d’expositions avec une scénographie venue d’Italie, un verre fabriqué en Tchéquie… », prédit Dominique de Font-Réaulx.

L’économiste Jean-Michel Tobelem va plus loin : « Pourquoi faire ces expositions quand on laisse dormir les œuvres dans les réserves ? » Pour le directeur de l’institut de recherche Option Culture, la situation actuelle est l’occasion de changer un système qui a atteint ses limites. « La crise des musées préexistait à la crise du coronavirus. Il existe, en France, un système à deux vitesses, avec d’un côté une concentration des richesses et du public dans les grandes institutions parisiennes et, de l’autre, une paupérisation des musées en province. Cela n’est plus acceptable : personne ne peut suivre l’intégralité de l’offre parisienne alors que, dans le même temps, les musées des grandes métropoles françaises ne peuvent plus organiser d’expositions internationales. » Le retour à une économie plus « frugale » serait donc une opportunité pour la démocratisation culturelle comme pour les collections nationales, qui pourraient mieux circuler entre les musées.

Si l’analyse est juste, la réalité est plus nuancée. Les musées d’Orsay et du Louvre sont redevenus des partenaires de choix pour les institutions en régions, et la solidarité entre les musées fonctionne. Nombre d’institutions parisiennes, à l’instar du Petit Palais, ont également revu leur programmation dans le bon sens. « Nous faisons en sorte qu’il y ait toujours quelque chose à voir au musée », explique Christophe Leribault, qui mise sur des expositions à la fois plus « durables » et plus exigeantes, comme sur la valorisation des collections permanentes (40 % d’œuvres exposées en plus dans des salles entièrement repeintes). Et peut-être faut-il s’en féliciter car, une fois la pandémie terminée, rien ne dit que les choses ne continuent pas « comme avant ». « Je ne sais pas si, passé les difficultés des prochains mois, les musées ne reviendront pas à leurs vieilles habitudes… », se demande Christophe Leribault.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°545 du 8 mai 2020, avec le titre suivant : Les musées planchent sur l’après-coronavirus

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