Drouot : un rapport confidentiel et explosif

Selon le rapport commandé par la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, Drouot Holding devra ouvrir son capital à des investisseurs extérieurs.

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2010 - 1094 mots

Le Journal des Arts a pu se procurer le rapport confidentiel commandé par la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, à la suite du scandale qui a éclaté il y a près d’un an à Drouot. Parmi les préconisations de ce document accablant pour la holding, un assainissement des pratiques professionnelles, la consolidation du pouvoir de régulation du Conseil des ventes volontaires, ainsi qu’une restructuration du capital de Drouot.

PARIS - « Drouot à l’heure des choix », tel est l’intitulé du rapport de 75 pages commandé par la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, à la suite du scandale des « cols rouges », à trois personnalités : Dominique Antoine, conseiller maître à la Cour des comptes ; Catherine Chadelat, conseiller d’État, et Jean-François de Canchy, inspecteur général des Affaires culturelles. Si le rapport qui a été remis à la fin avril 2010 à la garde des Sceaux n’a pas été rendu public, c’est qu’il n’a pas été rédigé dans cette optique. « On pourrait toutefois envisager d’en diffuser des passages contenant des recommandations destinées à la profession plutôt qu’aux pouvoirs publics », observent les rapporteurs. Et pour cause, car si le document est accablant pour Drouot, taxé d’immobilisme, il préconise des solutions musclées pour faire bouger les choses. « Puisque le caractère privé de Drouot interdit un interventionnisme direct, il sera utile de recenser très tôt les incitations et les moyens de pression dont les pouvoirs publics peuvent disposer pour négocier avec la profession et obtenir d’elle qu’elle se mette en mouvement selon les objectifs prédéfinis. » 

Les trois objectifs sont : un « assainissement des pratiques professionnelles » ; une consolidation du « CVV [Conseil des ventes volontaires] comme autorité de régulation crédible », ce en augmentant ses moyens d’investigation, de contrôle, de médiation et de discipline ; et enfin « une restructuration du capital de Drouot ».

Les incitations pourraient être de nature réglementaire, fiscale ou parafiscale. Mais pour faire plier Drouot, il est notamment question d’« enquêtes administratives » portant sur les règles de la libre concurrence et sur les « conditions concrètes de travail des salariés qui interviennent à Drouot ». Cela pourrait même aller jusqu’à la fermeture de Drouot, compte tenu de la « sécurité des lieux » qui « n’est pas pleinement garantie »

Actionnariat atomisé
Le rapport dénonce une structure capitalistique organisée de façon qu’aucune personne morale ni investisseur ne puisse entrer dans le capital. C’est ce verrou qu’il est nécessaire de faire sauter pour réformer en profondeur l’hôtel de ventes Drouot. Seules des personnes physiques (commissaires-priseurs) peuvent être actionnaires de Drouot. Sauf que les commissaires-priseurs de la nouvelle génération en sont largement exclus. « Cette configuration conduit à ce que les professionnels les plus actifs ne soient pas majoritaires en capital ». Par conséquent, « 22 % des actionnaires n’exercent pas ou plus la profession tout en détenant 15 % des actions. » Le document déplore aussi un actionnariat atomisé entre 115 actionnaires où « les droits de vote de chacun sont plafonnés à 5 % » et où « aucune majorité ne peut facilement se dégager », « de même pour la constitution d’une éventuelle minorité de blocage ».

Drouot n’a pas profité de la réforme – la loi du 10 juillet 2000 –, pour développer une stratégie concurrentielle nouvelle ou une politique volontariste d’investissement, contrairement à Artcurial qui voit le « succès d’une démarche entrepreneuriale ». À Drouot, « dix ans après, le bilan se solde par un échec », note le rapport. « La posture défensive a concentré la gestion sur le court terme. » Les dirigeants de Drouot privilégient la préservation de l’outil de travail et une politique de distribution de dividendes, au détriment du développement d’une politique d’expansion. Cela entraîne un « manque d’investissement à long terme », une sous-évaluation de l’importance du marketing et une absence de « politique crédible de déploiement international ».

En 2008, le magazine La Gazette, filiale de Drouot Holding, a dégagé 4,7 millions d’euros de bénéfice. Or « la consolidation des résultats des différentes sociétés [de Drouot] aboutit à une présentation artificielle de l’équilibre financier du groupe », car « le résultat d’exploitation de Drouot Holding stricto sensu est en fait déficitaire ». La location de salle n’est pas rentable et il convient d’en refondre le système, mais aussi de développer une politique d’accueil et de prestige, d’étendre les horaires d’ouverture en instaurant par exemple des nocturnes, ou encore de renvoyer certaines ventes dites « de chambre », non cataloguées et de basse qualité, sur le site de Drouot-Nord. De plus, rien n’est fait pour valoriser le label « Drouot ». Selon les rapporteurs, la marque est largement sous-exploitée en termes de marketing. Mais « rien ne sera possible tant que la structure du capital de Drouot demeurera émiettée et verrouillée ». 

Une rentrée sans « col rouge »

La direction de l’hôtel Drouot a lancé en juin un appel d’offres auprès de plusieurs sociétés de transport et de manutention, ces deux activités devant être désormais séparées. Les 73 SVV qui vendent à Drouot sont libres de choisir leurs transporteurs parmi une liste de sociétés agréées par Drouot. Concernant la manutention, la société Chenue a été retenue à l’unanimité par le conseil d’administration de Drouot Holding, le 13 septembre. Deux autres sociétés avaient présenté leur candidature : Bailly et Alliance, société nouvellement formée par les anciens commissionnaires de Drouot appelés « cols rouges ». Ces derniers sont interdits d’activité à Drouot sous l’enseigne de l’UCHV (Union des commissionnaires de l’hôtel des ventes) depuis le 1er septembre, à la suite de la mise en examen le 21 juillet de l’UCHV en tant que personne morale pour association de malfaiteurs, complicité de vols et recel de vols en bande organisée.

Furieux de n’avoir pas été repris, les ex-commissionnaires ont emporté tout leur matériel de l’hôtel des ventes parisien où leur corporation jouissait d’une situation monopolistique depuis 1852. « Je me réjouis que Drouot rouvre comme prévu le 20 septembre avec un prestataire de cette qualité, réputé pour son professionnalisme et ses références irréprochables », a commenté dans un communiqué de presse Georges Delettrez, président du Groupe Drouot. Fondée en 1760, la maison Chenue, spécialisée dans le transport et la manutention des œuvres d’art, est « liée contractuellement à Drouot qui exercera sur elle tout contrôle », précise le communiqué. Les visiteurs de Drouot seront accueillis par les hommes en tenue bleue de Chenue, soit une trentaine d’employés. La société doit rapidement embaucher une vingtaine de manutentionnaires supplémentaires pour faire fonctionner l’hôtel Drouot et ses 16 salles à plein régime.

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Présentation d'une vente à Drouot - © Photo Ludosane

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°331 du 24 septembre 2010, avec le titre suivant : Drouot : un rapport confidentiel et explosif

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