Art moderne

XIXE SIÈCLE

Whistler, un Américain si français

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 21 février 2022 - 848 mots

PARIS

Formé à Paris, le peintre s’y est imprégné de l’art de Courbet, Manet et des jeunes réalistes, ainsi que du japonisme qui irrigue une partie de son œuvre.

Paris. L’exposition pourrait paraître anodine : elle ne réunit que quatre peintures, trois pastels et douze estampes de James McNeill Whistler (1864-1903) appartenant à un musée new-yorkais, ainsi que trois toiles du même peintre conservées à Orsay. Cependant, l’institution américaine prêteuse est la prestigieuse Frick Collection (New York) dont les œuvres présentées ici ne l’avaient pas été, en France, depuis 1905, l’une des toiles y venant même pour la première fois. Grâce au beau catalogue rédigé par le commissaire de l’exposition, Paul Perrin, et Xavier F. Salomon, directeur adjoint de la Frick Collection, les visiteurs peuvent apprécier l’importance des acquisitions de l’industriel Henry Clay Frick (1849-1919), parmi lesquelles vingt Whistler réunis au cours des cinq dernières années de sa vie. Malheureusement, Harmonie en rose et gris : portrait de Lady Meux (1881-1882) n’a pas pu faire le voyage à Paris en raison de sa fragilité. Cet ensemble a l’avantage de résumer la carrière de l’artiste américain : seules manquent son activité de décorateur, à l’exception des encadrements de ses œuvres, et les scènes de genre, Caprices ou Variations. On peut y suivre ses débuts à Paris, son œuvre de portraitiste et de paysagiste ainsi que son important travail de graveur, ici réduit à la poétique Première suite vénitienne (1880). Whistler était célèbre pour ses estampes dont certaines sont extrêmement rares et c’est grâce à elles qu’il a connu ses premiers succès.

La gravité de Fantin-Latour

Né aux États-Unis, Whistler déménage à l’âge de 9 ans avec ses parents pour la Russie où il prend des cours de dessin à l’Académie impériale des beaux-arts avant d’apprendre la gravure, peut-être à Londres auprès de son beau-frère, aquafortiste amateur, ou plus sûrement au bureau des cartes marines de Washington où il travaille ensuite. Décidé à devenir artiste, il arrive à Paris en novembre 1855 et entre dans l’atelier de Charles Gleyre où passeront plus tard Frédéric Bazille, Monet, Renoir et Sisley. Admirant et copiant les maîtres espagnols et hollandais du XVIIe siècle, il se lie avec Henri Fantin-Latour et Courbet. Dans Maîtres d’hier et d’aujourd’hui (1914), le critique d’art Roger Marx notait qu’« entre Les Deux Sœurs de Fantin-Latour et Au piano de Whistler se constatent d’indéniables parités de conception ». De son côté, Gustave Kahn dans son Fantin-Latour (1926) expliquait que, « au tard de sa vie, lorsqu’il enlève ses figures sur un fond gris simple, en maîtrisant son extraordinaire virtuosité, on peut admettre qu’il pense encore à la gravité, à la modestie et au sérieux de Fantin ». C’est pourtant au réalisme de Courbet que le peintre américain rend hommage dans la première œuvre de l’exposition, Tête de vieux fumant une pipe, dit aussi L’Homme à la pipe (vers 1859) du Musée d’Orsay.

La gravité de Fantin, quant à elle, transparaît dans Arrangement en gris et noir no 1 : portrait de la mère de l’artiste (1871), qui est l’un des joyaux d’Orsay. Son titre montre que l’artiste « proclame la supériorité des éléments plastiques de l’œuvre sur le sujet »,écrit Paul Perrin dans le catalogue. C’est le cas dès les années 1860, par exemple pour Symphonie en gris et vert : l’océan (1866, Frick Collection), une marine peinte à Valparaiso (Chili) à laquelle Whistler ajoute, pour son exposition de 1872, une branche de bambou et son cartouche de signature ainsi qu’un cadre de sa conception, également japonisant. Variation en violet et vert (1871, Orsay), qui représente le soir sur la Tamise et dont la composition témoigne aussi d’une inspiration japonisante, a également conservé son cadre doré orné d’un papillon, emblème du peintre. Désormais, les titres, peut-être inspirés par le mélomane Fantin-Latour, font référence à la musique.

C’est encore le japonisme qui marque profondément Symphonie en couleur chair et rose : portrait de Mrs. Frances Leyland (1871-1874 Frick Collection), dans le décor de fleurs de prunier et de bambous mais aussi dans la pose du modèle, de dos, le visage de profil, montrant la traîne qu’elle porte. Celle-ci, avec son « pli Watteau », a été cousue pour Whistler. Il en fait un élément capital de son tableau, se situant dans la ligne d’Utagawa Kunisada (1786-1865) et son école qui représentaient ainsi La Belle Koharu ou d’autres courtisanes des maisons de plaisir. Arrangement en brun et noir : portrait de Miss Rosa Corder (1876-1878) a la même audace et la même virtuosité que Camille ou La Femme à la robe verte (1866) peinte par Monet pour le rendu de la robe et en s’inspirant d’une estampe japonaise. Très séduisante, c’est l’œuvre de Whistler qui a coûté le plus cher à Henry Frick. L’Américain usa toute sa vie de noirs profonds qu’il devait aux Espagnols et peut-être plus directement encore à Manet. On les retrouve d’une grande élégance dans Arrangement en noir et or : comte Robert de Montesquiou-Fezensac (1891-1892, Frick Collection). Noirs qui font le désespoir des éclairagistes de nos musées modernes, à en juger par le halo qui, à Orsay, gâche un peu la contemplation de ces deux dernières œuvres.

James McNeill Whistler. Chefs-d’œuvre de la Frick Collection,
jusqu’au 8 mai, Musée d’Orsay, esplanade Valéry-Giscard d’Estaing, 75007 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°583 du 18 février 2022, avec le titre suivant : Whistler, un Américain si français

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