Art moderne

Des Américains à Paris

Comment, en 1900, une nouvelle école s’est affirmée

Par Marie Bourdet · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2001 - 632 mots

Les Américains ont profité, il y a cent ans, de l’Exposition universelle de Paris pour affirmer l’existence de leur « école artistique », aux yeux de tous, et surtout de la France. Le Musée Carnavalet propose de revenir sur cet événement en rassemblant les œuvres majeures d’artistes peu connus en dehors des États-Unis, et qui illustraient un sentiment national en devenir.

PARIS - “Nous nous sommes laissé trop longtemps séduire par les muses européennes. On dit que l’Américain est timoré. [...] Quel est donc le remède ? [...] Il est dans l’étude et dans la communication de nos principes. [...] Nos jours de dépendance, notre long apprentissage des autres cultures sont en train de s’achever”, prophétise Emerson aux étudiants de Harvard, en 1837. Tout au long du XIXe siècle, le Vieux Continent a dominé par son économie, ses écoles, le foisonnement des salons, les académies et la variété de ses musées... Paris joue pour les peintres du monde entier le rôle qu’avait joué Florence à la Renaissance, et de nombreux Américains viennent étudier dans les ateliers, comme celui de Gérôme. Il faut céder au goût français puisqu’il règne sur le monde. Mais, en 1900, les artistes américains cherchent à démontrer leur indépendance face à l’académisme français. Dans cet état d’esprit conquérant, en quête d’identité, les beaux-arts doivent diffuser outre-Atlantique l’image officielle des États-Unis avec des sujets purement “américains”.

Accueilli par l’Amor caritas en bronze de Saint-Gaudens, le visiteur d’aujourd’hui comme celui d’hier découvre les sculptures américaines et les innovations dans les arts décoratifs : bijouterie, argenterie et céramique issues des manufactures Gorham et Tiffany à New York, des ateliers Rockwood à Cincinnati et de la faïencerie Grueby à Boston. Mais les peintures de Whistler, William Chase, George de Forest Brush, John Singer Sargent, Thomas Alexander Harrison ou Francis David Millet attirent plus encore les critiques.

Reflet des valeurs puritaines
Dans la catégorie des figures, le nu reste indissociable de la formation académique française. Les Nymphes de Julius Stewart présentent deux femmes nues de face. Si la pose n’est pas choquante pour le public parisien, le puritanisme américain incite Joseph R. DeCamp à peindre de dos la Femme s’essuyant les cheveux. Le double portrait en pied, Mère et fille, de Cecilia Beaux, compris comme une sorte d’”icône” de la pureté morale, reflète les mêmes valeurs puritaines. Tout aussi idéalisés que leurs mères, les enfants aux joues pleines respirent l’innocence (Tête d’enfant, Rosina Emmet Sherwood). Les Jeux de gamins de John George Brown relèvent d’un art national, fier de son brassage culturel. Les sujets liés à la conquête de l’Ouest expriment plus fortement encore le patriotisme : Mon compagnon de chambrée de Charles Schreyvogel ressuscite une scène de western mouvementée. Néanmoins, c’est dans le genre du paysage qu’une “école” s’affirme avec le plus de force, à la manière d’un portrait de cette Amérique lointaine. Theodore Steele rend sensible un paysage d’automne sur les bords de la Muscatatuck (Indiana), dans La Pruine. Avec ses tonalités assourdies et sa facture lâche, le “luminisme” s’inscrit dans la lignée de l’École de Barbizon. Gommant les détails dans une touche atmosphérique, la Journée d’automne ensoleillée de George Inness traduit la poésie de la campagne américaine. Ces paysages donnent une image idéalisée, poétisée et même politisée de l’Amérique. Les réactions favorables de la presse de l’époque et la moisson de médailles donnent la mesure de l’engouement suscité par l’art américain, défini par sa diversité. Ces tâtonnements de la jeune “école” avec ses portraits de femmes pures, d’enfants innocents, d’hommes forts et de terres riches de promesses constituent un chaînon important pour l’histoire de l’art américain.

- PARIS 1900, LES ARTISTES AMÉRICAINS À PARIS, jusqu’au 29 avril, Musée Carnavalet, 23 rue de Sévigné, 75004 Paris, tlj sauf le mardi, 10h-17h40, tél. 01 44 59 58 58, catalogue, éd. Paris-Musées, 245 F.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°124 du 30 mars 2001, avec le titre suivant : Des Américains à Paris

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