La 15e édition de la Biennale réunit des artistes chinois et une large sélection d’artistes internationaux autour d’une réflexion commune sur la nature.
Shanghaï (Chine). Intitulée « Does the Flower Hear the Bee ? » (la fleur entend-elle l’abeille ?), la 15e édition de la Biennale de Shanghaï, qui s’est ouverte le 8 novembre, explore les formes d’intelligence humaine et non humaine à travers 250 œuvres de 67 artistes et collectifs, dont un quart sont chinois. Elle aborde cette question de manière poétique et sensorielle, alors que la science a montré que les fleurs « entendent » la vibration des abeilles, influençant la composition de leur nectar, comme le rappelle dans le catalogue de la biennale Kitty Scott, commissaire à l’origine du thème. Son équipe curatoriale, entièrement féminine, réunit Xue Tan (conservatrice en chef de la Haus der Kunst, Munich) et Daisy Desrosiers (directrice de The Gund, Ohio), en collaboration avec Gong Yan, directrice de la Power Station of Art (PSA), qui accueille la Biennale de Shanghaï depuis 2012.
En dialogue avec la nature, de nombreuses œuvres sollicitent l’ensemble de nos sens. Suspendue au cœur de l’atrium de la PSA, Phantom Forest (« forêt fantôme », 2025, [voir ill.]), du duo portoricain Allora & Calzadilla, déploie trois nébuleuses de fleurs jaunes en lévitation. Tel un printemps en automne, l’installation invite également les visiteurs à manipuler et à se lover dans les mêmes fleurs artificielles en PVC recyclé, disposées au sol. Au premier étage, Prologue II. Resonant Blossoms (2025), de l’artiste mexicaine Tania Candiani, prolonge cette esthétique biophile avec des sculptures en osier et en rotin tressé. Suspendus à la verticale, ces pistils géants diffusent des bruits de nature qui incitent le public à se placer sous leur ouverture évasée, comme pour devenir les pollinisateurs de ces installations sonores.
Le goût est sollicité avec l’installation du Thaïlandais Rirkrit Tiravanija (Sans titre [cure], 1992), soit un salon de thé drapé de tissu orange où les visiteurs peuvent faire une pause et converser autour d’une table ronde en dégustant différents types de thé, dans l’esprit de l’esthétique relationnelle qui caractérise son travail. L’odorat est stimulé avec Linga München (2025, [voir ill.]), de l’artiste japonais Kosen Ohtsubo, qui associe l’art de l’ikebana à la forme du linga shivaïte. L’installation monumentale diffuse des fragrances naturelles provenant de ses matériaux, tel un pot-pourri. Une sélection de ses photographies des années 1970 et 1980 complète la présentation de cet « ikebana-claste » hors pair.
Ancienne centrale électrique devenue musée, la PSA se transforme ainsi en ruche artistique ouverte sur le monde, un geste notable dans un contexte de fortes tensions régionales, en particulier entre la Chine et le Japon. L’essaimage se poursuit hors les murs avec une œuvre en extérieur d’Abbas Akhavan, visible sur le toit d’un bâtiment voisin du musée, et une exposition satellite au Jia Yuan Hai Art Museum de Shanghaï qui inclut deux œuvres de Theaster Gates consacrées aux échanges culturels et spirituels sino-japonais.
L’alchimie fonctionne également chez les artistes chinois, portée par l’affinité du thème de la biennale avec les canons culturels chinois, tant littéraires qu’artistiques. La référence est explicite dans Préface au poème sur la source aux fleurs de pêcher (2008), manuscrit illustré de Huang Yong Ping dans lequel il réinterprète la fable utopique du poète Tao Yuanming (365-427) comme une métaphore politique et culturelle du monde contemporain, notamment sur les rapports entre Orient et Occident.
Les jeunes artistes sont particulièrement bien représentés à travers des propositions variées, allant de la peinture (Hao Liang) à la céramique (Jaffa Lam), en passant par la vidéo (Zhou Tao) et une série d’installations originales. Parmi ces dernières : Dust (2025) de Chen Ruofan, qui s’inscrit dans le double héritage de Marcel Duchamp (Élevage de poussière, 1920) et de Huang Yong Ping (Poussière, 1987), ainsi que Twinland (2025) de Shao Chun, matrice organique multimédia incarnant le « fantôme de l’Internet » et poursuivant les travaux pionniers de Nam June Paik, notamment par l’usage de l’ASMR (Autonomous sensory meridian response). La biennale propose ainsi une exposition revigorante pour la jeune scène artistique chinoise, encore convalescente après l’asphyxie pandémique. Ce renouveau, fragile mais notable, fait oublier les règles de censure particulièrement strictes en vigueur dans le pays. Si cette manifestation bénéficie à l’image libérale de Shanghaï, elle témoigne surtout du travail minutieux de l’équipe curatoriale, qui a su éviter les écueils d’une propagande polarisée entre « artwashing » et greenwashing, sans renoncer à l’exigence artistique. Là encore, la tradition chinoise joue un rôle éclairant, en particulier la « peinture de fleurs et d’oiseaux » (hua niao hua), genre majeur de l’histoire de l’art, qui a longtemps servi de langage codé pour critiquer subtilement le pouvoir impérial.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°667 du 12 décembre 2025, avec le titre suivant : À Shanghaï, tous les sens en éveil





