Histoire de l'art

La pollution expliquerait en partie le flou des impressionnistes

Par Alexandre Clappe · lejournaldesarts.fr

Le 16 décembre 2022 - 749 mots

Une étude suggère que le dioxyde de soufre apparu avec la révolution industrielle a influencé leur technique picturale.

Claude Monet, Le Parlement de Londres, vers 1900-1903, huile sur toile, 81 x 92 cm, Art Institute of Chicago. CC0 1.0 public domain
Claude Monet, Le Parlement de Londres, vers 1900-1903, huile sur toile, 81 x 92 cm.

Les peintres impressionnistes du XIXe siècle s'intéressaient aux progrès scientifiques contemporains et peignaient souvent en plein air pour saisir le monde dans sa lumière. On pense généralement que leurs palettes de couleurs et leurs techniques de peinture - des coups de pinceau visibles avec des représentations minimales des formes – sont liés à un choix stylistique. 

Une récente étude scientifique suggère que l’inclination pour les contours flous que l'on retrouve dans les œuvres de William Turner et de Claude Monet pourraient, en fait, être des représentations des effets d’optiques liés à la pollution atmosphérique. En effet, les recherches menées par Anna Lea Albright du Laboratoire de météorologie dynamique, affilié à la Sorbonne et l'École normale supérieure, suggèrent que les impressionnistes ont peut-être été plus sensibles à la réalité de la météo.

L'étude s'est concentrée sur Turner (pré-impressionniste) et Monet (emblématique du mouvement), des artistes qui ont fréquemment peint des paysages urbains en série à Londres et à Paris, des zones urbaines qui ont connu une pollution atmosphérique croissante pendant la révolution industrielle. « Nous ne voulons pas dire que ces artistes n'étaient que des instruments enregistrant passivement leur environnement, cela diminuerait leur évident génie créatif. L'idée maîtresse est que la modification de l'environnement a donné de nouvelles impulsions créatives, de nouvelles façons de voir » a expliqué lors d’une conférence Anna Lea Albright, qui a mené ces recherches avec Peter Huybers, professeur de sciences de la Terre et des planètes à l'université de Harvard (Massachussetts).

Anna Lea  Albright et Peter Huybers ont d'abord estimé les niveaux de pollution atmosphérique pendant les périodes où Turner et Monet étaient les plus actifs. Étant donné que la surveillance régulière de la qualité de l'air n'a commencé qu'au milieu du XXe siècle, les chercheurs ont utilisé les inventaires de carburant comme substitut. En Grande-Bretagne, la révolution industrielle a pris son essor dans les années 1830. Le dioxyde de soufre (SO2), gaz produit par la combustion du charbon, polluait l'air en particulier à Londres, où les concentrations ont augmenté tout au long du XIXe siècle. À Paris, les niveaux de SO2 n'ont augmenté que dans la seconde moitié du XIXe siècle, et les pics de concentration n'ont jamais été aussi élevés que dans la capitale britannique.

La pollution étant connue pour affecter la visibilité au niveau de la rue, les scientifiques ont utilisé l'analyse d'images pour évaluer la clarté et la palette de couleurs des peintures de Turner et de Monet. La technique des chercheurs a consisté à prendre une photo haute résolution d'un tableau et à la convertir en une matrice, c'est-à-dire un ensemble de chiffres correspondant à différentes couleurs. Ils ont ensuite utilisé l'analyse mathématique des données obtenues afin de déterminer la netteté des bords entre les couleurs à différentes échelles. Des modèles de couleurs ont permis de déterminer le « flou » des images.

Les chercheurs ont évalué 60 peintures à l'huile de Turner couvrant les années 1796-1850 et 38 peintures de Monet datant de 1864 à 1901, après avoir étalonné la technique en utilisant des photos de villes actuelles dans des conditions claires et polluées. À mesure que les niveaux de pollution augmentaient, le style des deux artistes évoluait, passant de formes plus clairement délimitées à des bords plus flous et à des palettes de couleurs plus claires. Cette tendance s'est maintenue même après que les chercheurs ont pris en compte le sujet et l'heure de la journée. Le même modèle a révélé des tendances similaires dans les peintures de Londres et de Paris réalisées par d'autres artistes comme Pissarro, Whistler ou Caillebotte.

« Turner est né à l'âge de la voile et il est mort à l'âge du charbon et de la vapeur » explique Anna Lea Albright, qui pense que l'industrialisation a influencé non seulement ce que Turner a peint mais aussi sa manière de peindre. Selon elle, cette influence est illustrée dans Pluie, vapeur, vitesse (1844), mettant en scène un train traversant un pont dans un paysage doré.

Joseph Mallord William Turner, Pluie, vapeur, vitesse, 1844, huile sur toile, 91 x 121,8 cm © National Gallery, Londres, Licence Domaine Public
William Turner (1775-1851), Pluie, vapeur, vitesse, 1844, huile sur toile, 91 x 121,8 cm.
© National Gallery, Londres

Selon Anne Lea Albright, l'œuvre de Monet, réalisée plusieurs générations après celle de Turner, pourrait également représenter une version amplifiée des tendances réelles de la pollution, car l'artiste français était connu pour rechercher le smog londonien pour ses peintures du Parlement et d'autres monuments. Les premières peintures de Monet étaient classiques. Son style serait donc devenu de plus en plus impressionniste à mesure que les lieux dans lesquels il peignait étaient de plus en plus pollués.
 

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