Draguignan explore la réception de la peinture du peintre néerlandais en établissant des filiations pertinentes avec des artistes célèbres et d’autres moins.
Draguignan (Var). Rembrandt (1606-1669) est de ces artistes érigés au rang de mythe et dont l’œuvre traverse les époques. Au XVIIIe siècle, le peintre néerlandais fait figure de référence : ses tableaux circulent entre les mains des artistes et collectionneurs en Europe et surtout à Paris, devenue capitale du marché de l’art. On se plaît à les observer, à s’en inspirer, à les imiter. Ce sont justement deux pastiches, longtemps attribués au maître et conservés comme tels dans les collections du Musée des beaux-arts de Draguignan, qui signent le point de départ de l’exposition. Leur filiation a depuis été réévaluée : c’est du côté de l’école française du début XVIIIe siècle qu’il faudrait chercher l’auteur de L’Enfant à la bulle de savon, tandis que le Portrait de jeune homme portant une toque rouge et une chaîne d’or serait de la main d’un artiste germanique. Or, avec ces réattributions, des questions ont émergé : pourquoi peint-on à la manière de Rembrandt ? Comment le maître a-t-il marqué la postérité ? Le sujet, jusqu’ici peu traité, se révèle d’autant plus intéressant qu’il ne se résume pas ici aux copies d’atelier, bien contraire. Parmi les influencés, figurent les plus grands noms du XVIIIe siècle : Jean Honoré Fragonard, Jean Siméon Chardin, Hyacinthe Rigaud…
« Dans l’exposition, nous voulions dépasser la question de savoir ce qu’est un Rembrandt aujourd’hui. Nous souhaitions présenter des tableaux qui ont été construits comme des œuvres de Rembrandt au XVIIIe siècle, regardés comme tels. Donc s’intéresser à la manière dont les artistes vont les interpréter, copier, pasticher… », précise Yohan Rimaud, commissaire et directeur du musée. Au fil du parcours, les caractéristiques du modèle « rembranesque » se dévoilent peu à peu dans une sélection réfléchie, quasi intégralement composée de prêts. Au total : une soixantaine d’œuvres accrochées, majoritairement des portraits, tous contemplés au XVIIIe siècle. « Nous avons essayé de recréer ces conditions du regard en ne demandant que des tableaux qui ont été regardés, qui ont fait l’objet d’une documentation venant l’attester », appuie Yohan Rimaud. Ainsi, une Coupeuse de chou attribuée à Jean-Baptiste Santerre (1651-1717) fait pendant à une copie de La Crasseuse d’après Rembrandt, un parallèle d’autant plus pertinent que les deux compositions étaient associées dans certaines collections de l’époque.
Rembrandt est bel et bien érigé comme un phare, et ce jusque dans l’exposition. Malgré un accrochage resserré – contraint par l’exiguïté des salles –, la part belle est faite à l’œuvre du maître néerlandais. Dans chaque section, un chef-d’œuvre de Rembrandt ou une œuvre qui lui a été anciennement attribuée se distingue, soit trois peintures de sa main et dix autres qui ont été considérées comme telles. Tout en sobre retenue, son portrait d’une Vieille femme avec un livre (1637), prêté par la National Gallery of Art de Washington, est mis en regard avec les portraits empreints de réalisme de Jean-Baptiste Greuze (1725-1805). L’incontournable Sainte Famille du Louvre, devenu le Rembrandt le plus cher vendu en France au XVIIIe siècle, occupe une place de choix sur un mur de scènes en clair-obscur, où les gestuelles se répondent. Des corrélations justes, qui ne laissent en revanche que peu de place à la gravure alors même que cette dernière est centrale dans la diffusion de l’œuvre de Rembrandt. Notons tout de même la présence de quelques nus féminins gravés, vertement décriés par la critique de l’époque.
Loin d’établir des rapprochements superficiels, l’exposition explicite clairement les emprunts, les liens plus ou moins ténus qu’entretiennent les artistes avec l’œuvre de Rembrandt. Vigueur du coloris, subtile modulation de la lumière, puissance expressive des figures, goût pour les accessoires orientalisants… Les tableaux de Rembrandt fascinent une grande diversité de peintres, parmi lesquels Fragonard se fait sans doute le plus brillant interprète. En témoignent ses virtuoses Têtes de vieillards, animées d’une touche vibrante. Le parcours met aussi en lumière le talent d’artistes moins connus comme Alexis Grimou et Joseph Aved, tous deux fins connaisseurs du peintre hollandais. D’autres comparaisons, plus inattendues au premier abord, sont convaincantes : la tendre scène d’une chienne allaitant ses petits peinte par Jean-Baptiste Oudry, tout en clair-obscur, offre un contrepoint facétieux aux Nativités de Rembrandt et de Fragonard. Et pour pallier l’absence d’œuvres majeures qui n’ont pu être prêtées, des trésors d’ingéniosité ont été déployés. L’autoportrait aux deux cercles, chef-d’œuvre de Rembrandt qui ne quitte presque plus la Kenwood House de Londres, est ainsi remplacé par une copie de très belle facture, retrouvée dans les collections du Musée Granet (Aix-en-Provence) et présentée pour la première fois depuis plus de cinquante ans.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°667 du 12 décembre 2025, avec le titre suivant : La postérité de Rembrandt au siècle de Fragonard





