Art moderne

Whistler, peintre raffiné et trafiquant d’armes

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 19 mars 1999 - 470 mots

On savait que la carrière de James McNeil Whistler (1834-1904) avait été émaillée de ruptures fracassantes, de plusieurs procès dont un en diffamation, retentissant, contre le célèbre critique John Ruskin. L’ouverture d’archives apporte des révélations qui noircissent davantage la personnalité du peintre.

LONDRES (de notre correspondant) - Depuis plus d’un demi-siècle, le Victoria & Albert Museum conservait une enveloppe scellée provenant des archives du Burlington Fine Arts Club, dont Whistler avait été membre pendant dix mois, avant d’en être expulsé le 13 décembre 1867. Celle-ci vient d’être ouverte ; elle contenait le dossier Whistler, un réquisitoire précis contre un bagarreur récalcitrant, un trafiquant d’armes et un séducteur pressant.

Whistler a été expulsé du club pour avoir, en juin 1867, “attaqué dans un café parisien” son beau-frère, Francis Seymour Haden. Il l’aurait poussé à travers une porte vitrée. Haden apporte les preuves d’autres méfaits commis en moins de six mois. Le peintre s’est querellé avec un maçon ; il a insulté un passager haïtien au cours d’un voyage, puis a giflé le capitaine qui voulait le forcer à rester dans sa cabine ; il s’est battu violemment à Waterloo Station avec le capitaine H.H. Doty dont il avait séduit la femme ; à Londres, il a insulté puis frappé le peintre Alphonse Legros.

Des torpilles pour le Chili
Les documents permettent aussi d’éclairer certaines zones d’ombre, comme son voyage au Chili en 1866. Ses biographes avaient suggéré des tensions avec sa maîtresse, des difficultés pour finir Symphonie en blanc n° 3, ou encore des problèmes liés à son amitié avec un nationaliste irlandais accusé de haute trahison. Les documents du Burlington Fine Arts Club proposent une autre explication : le besoin d’argent, et sans doute d’aventure. Dans une lettre au club, le capitaine Doty explique qu’il a engagé Whistler comme secrétaire à 30 livres sterling par mois pour l’accompagner à Valparaíso. Doty servait alors dans la marine chilienne, il est difficile de croire que Whistler ne s’occupait que d’affaires strictement privées. L’artiste était vraisemblablement à la solde d’une puissance étrangère. Selon Hunter Davidson, capitaine de l’Henrietta à bord duquel Doty a fait le voyage vers le Chili, celui-ci montait une expédition de mines sous-marines, ajoutant que Doty intervenait comme “intermédiaire pour un agent chilien à Londres en 1865”. En collaborant à l’acheminement de torpilles au Chili, Whistler aurait donc été impliqué dans un important trafic d’armes. Ces éléments viennent confirmer les révélations faites par William Rossetti (frère de Dante Gabriel) dans son journal intime, en 1866 : il y notait que Whistler collaborait avec le capitaine Doty pour organiser la livraison de torpilles à Valparaíso afin de détruire la flotte espagnole. Pendant son séjour au Chili, le peintre a exécuté quelques marines avec des navires de guerre, mais il a surtout séduit la femme du capitaine, rentré plus tôt en Angleterre...

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°79 du 19 mars 1999, avec le titre suivant : Whistler, peintre raffiné et trafiquant d’armes

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