Politique

RÉTROVISION

1981-1986 : retour sur un « moment culturel »

Par Damien Roger · Le Journal des Arts

Le 23 mai 2021 - 1107 mots

FRANCE

Prix unique du livre, doublement du budget de la Culture, Grands Travaux, reconnaissance de nouvelles formes d’expression, soutien à la création : l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 se traduit par un nouvel élan en faveur de la culture.

France. « Que la culture ne se limite pas à un marché de consommateurs privilégiés, qu’elle soit globale et constitue une dimension à la vie », proclame le projet de l’union de la gauche lors de l’élection présidentielle de 1981. Les « 110 propositions pour la France », inspirées du programme commun signé en 1972 entre le Parti socialiste et le Parti communiste, esquissent ainsi un « pacte national pour la culture ».« Je propose aux Français d’être avec moi les inventeurs d’une culture, d’un art de vivre, bref d’un modèle français de civilisation », rien de moins, conclut le futur président dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Le Point le 2 mai 1981. Le 10 mai, François Mitterrand est élu avec 51,76 % des suffrages exprimés. C’est sous le signe de l’« impératif culturel » que s’engage la politique de la gauche. La composition du gouvernement est annoncée le 22 mai. Jack Lang devient le 11e ministre de la Culture de la Ve République, fonction qu’il conserve au sein des gouvernements de Pierre Mauroy et de Laurent Fabius.

Le nouveau ministre cherche à marquer les esprits et à traduire l’engagement culturel du nouveau président. Il engage, avant l’été, plusieurs réformes d’ampleur. En rupture avec la politique libérale menée précédemment, la loi relative au prix unique du livre est adoptée le 10 août 1981. L’année 1981 marque également le début de la libération des ondes avec l’apparition des premières « radios libres ». Enfin, signal d’un changement d’échelle de l’action culturelle de l’État, le nouveau ministre engage le doublement du budget du ministère de la Culture.

1982 : la Culture pèse 0,76 % du budget de l’État

« Les Français ont franchi la frontière qui sépare la nuit de la lumière », lance Jack Lang à la tribune de l’Assemblée nationale, le 17 novembre 1981, jour du vote du budget de la Culture. « Culturelle, l’abolition de la peine de mort que vous avez décidée ! Culturelle, la réduction du temps de travail ! Culturel, le respect des pays du tiers-monde ! […] Sur chaque membre du gouvernement repose une responsabilité artistique évidente », s’exclame-t-il. L’ambition est de hisser le financement de la Culture à hauteur de 1 % du budget de l’État. Le budget 1982 double, passant de 3 à 6 milliards de francs, soit l’équivalent de 2 milliards d’euros d’aujourd’hui. Pour le prix de 100 km d’autoroute, la France entend se donner les moyens d’une grande politique culturelle. La part de la Culture dans le budget de l’État passe ainsi de 0,46 % en 1981 à 0,76 % en 1982.

En 1983, un tournant décisif est pris avec l’annonce d’une politique de rigueur. Les années de gouvernement de Laurent Fabius sont marquées par une quasi-stagnation voire une baisse du budget de la Culture (+ 0,2 % en 1984, – 2,9 % en 1985 et – 2,1 % en 1986). Malgré la crise, les résultats sont spectaculaires : en cinq ans, le budget a été multiplié par plus de deux, il a progressé de 63,7 %, pour atteindre 0,97 % du budget de l’État en 1986 (près de 10 milliards de francs). Désormais, cette barre symbolique de 1 % restera, sauf exception, un objectif pour les gouvernements successifs.

L’élargissement des territoires de la culture

Pour la première fois depuis 1959, les missions du ministère sont révisées. S’il s’agit toujours de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit, de préserver le patrimoine culturel, de les faire connaître du plus grand nombre, le décret du 10 mai 1982 apporte un certain nombre de nouveautés : il entend donner à chacun la possibilité de créer, de s’exprimer, de se former, tout en reconnaissant l’apport des groupes sociaux et des cultures régionales au patrimoine commun. Est reconnue l’égale dignité de pratiques et de formes d’expression considérées jusqu’alors comme infra ou non culturelles : les variétés, le jazz, le rock, la bande dessinée, la mode, le cirque, la gastronomie, le design s’affichent désormais à l’agenda ministériel.

En juin 1982, le gouvernement détaille son plan de « 72 mesures pour les arts plastiques » : augmentation du nombre d’ateliers d’artistes, création d’un Fonds d’incitation à la création (Fiacre), rattachement de la photographie à la Délégation aux arts plastiques du ministère, généralisation du 1 % artistique aux collectivités locales, création des Fonds régionaux d’art contemporain (Frac) et de centres d’art contemporain dans les régions, autant de mesures qui visent à soutenir la création contemporaine. Le nouveau ministre imagine par ailleurs des événements annuels qui doivent permettre à tous les citoyens de participer activement à la vie culturelle. Il crée la « Fête de la musique » (1982) et la « Journée portes ouvertes dans les monuments historiques » (1984), aujourd’hui devenue « Journées européennes du patrimoine ».

Un engagement présidentiel sans précédent

Très actif dans le domaine culturel, le président de la République s’implique dans la politique des Grands Travaux lancée en 1982. Il ne se contente pas de reprendre l’achèvement des grands ensembles dont il a hérité de Valéry Giscard d’Estaing – le Musée d’Orsay, la Villette et la Défense –, il marque les projets de son empreinte comme avec le chantier de l’Institut du monde arabe (1981), largement remanié à l’occasion. L’initiative présidentielle se révèle par ailleurs essentielle dans la concrétisation du « Grand Louvre », de l’Opéra Bastille et de la Bibliothèque nationale de France.

Si l’écart entre Paris et la province cesse de croître pour ce qui touche au financement de l’État, l’objectif de rééquilibrage n’est que partiellement atteint. La moitié des crédits du ministère de la Culture reste affectée à Paris intra-muros, ce alors que les Grands Travaux engloutissent une part importante du budget culturel (15 milliards de francs sur les deux septennats).

La culture au centre du débat public

Caractérisée par l’engagement à la fois du président de la République et du ministre de la Culture, la période 1981-1986 est marquée par une vision éclectique de la politique culturelle. Si cette approche a fait l’objet de critiques – il a pu être reproché à la conception mitterrandienne de préférer les opérations de prestige et l’animation éphémère au labourage en profondeur des canaux de diffusion de la culture –, la période correspondant à l’arrivée de la gauche s’est traduite par une ouverture du champ culturel et un investissement budgétaire sans précédent. Ce volontarisme a contribué à mettre la culture au centre du débat politique et à donner un souffle nouveau à l’action de l’État dans ce domaine. Et la spécificité de ces années semble, en ce sens, marquée par la volonté présidentielle de ne pas sacrifier la politique culturelle en période de crise.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°567 du 14 mai 2021, avec le titre suivant : 1981-1986 : retour sur un « moment culturel »

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