La réouverture tant attendue du musée d’art révèle les tensions politiques, identitaires et touristiques qui traversent Bayonne aujourd’hui.

France. En principe, lorsqu’une ville retrouve son musée d’art après des années de fermeture et d’efforts pour le rénover, elle tient à partager cette bonne nouvelle auprès du plus grand nombre. Mais à Bayonne, nul oriflamme ne pavoise la ville et la municipalité n’a pas engagé de campagne de communication nationale, ni même locale. Tout juste une inauguration avec quelques officiels et bien sûr Laurence des Cars, la présidente-directrice du Louvre avec qui le musée entretient des rapports très étroits.
C’est que la période de réserve électorale pèse sur les festivités d’ouverture. La communication sur la réouverture du musée étant par définition inhabituelle par rapport à ce qui s’est fait durant la mandature, elle doit être très limitée selon les textes. Et le maire divers droite Jean-René Etchegaray, candidat officieux à sa réélection, et dont tout le monde connaît l’implication dans la rénovation du musée, craint par-dessus tout la réaction de ses opposants sur le terrain juridique électoral.
Au plan politique la critique est classique : « On aurait pu rénover trois écoles à la place du musée », entend-on. Sur les 33 millions (HT) qu’ont coûté les travaux d’extension, de rénovation du bâti et de restauration des œuvres, la Ville en a payé 14 millions d’euros. Un montant qui paraît raisonné pour une ville qui affiche un endettement contenu, un budget d’investissement autour de 45-47 millions d’euros et un budget de fonctionnement – et donc de recettes – autour de 87 millions d’euros.

Bayonne est une ville moyenne de 53 000 habitants, comparable à Laval, Albi, Niort ou Narbonne. Son taux de pauvreté (17 %) est légèrement supérieur à la moyenne nationale comme celui des foyers non imposés (51 %). Mais l’impression qui se dégage du centre historique est plutôt celle d’une ville aisée avec un bâti ancien bien restauré (la Ville est l’une des premières à s’être dotée d’un secteur sauvegardé) et des commerces actifs.
Bayonne est aussi et d’abord la capitale du Pays basque « du nord (le sud étant en Espagne), une dimension essentielle pour comprendre les enjeux locaux. Ici l’identité culturelle basque est très affirmée mais elle doit composer avec une population gasconne et béarnaise nombreuse. Or, le Musée Bonnat-Helleu est installé dans le Petit Bayonne, un quartier historique de la Ville entre l’Adour et la Nive, aujourd’hui fief des étudiants mais qui fut longtemps le point de rencontre entre les militants nationalistes basques et les exilés espagnols. Certains murs autour du musée affichent encore la figure de membres de l’ETA disparus ou en prison. Le terrorisme de l’ETA est encore récent, ce n’est qu’en 2011 que le mouvement a annoncé « la cessation définitive de l’activité armée », et ce n’est qu’en 2017 que leur désarmement a été organisé avec un rôle important en la matière du maire actuel comme aime à le souligner son adjoint à la culture Yves Ulgade. C’est aussi dans le Petit Bayonne qu’est installé depuis 1922, soit à peu près à la même époque que le Musée Bonnat, le Musée basque qui a bénéficié d’une grande rénovation en 2001.

Le maire est aussi le président de la Communauté d’agglomération du Pays basque (CAPB), une intercommunalité qui a réussi à regrouper toutes les communes basques, constituant de facto un contre-pouvoir au département des Pyrénées-Atlantiques dont la préfecture est Pau. Jean-René Etchegaray qui tient son autorité morale de son rôle dans le désarmement de l’ETA et son autorité politique dans la présidence de la CAPB a assigné au directeur du Musée Bonnat-Helleu la mission « d’ouvrir » le musée aux populations rurales basques. Une façon pour le maire de Bayonne de faciliter sa réélection par ses pairs à la présidence de « l’agglo ». Un objectif difficile à atteindre et qui passe par la venue de scolaires de l’arrière-pays, d’un médiateur embauché spécialement pour le public rural et bien sûr des cartels en basque. Paradoxalement, seuls les Bayonnais et pas tous les habitants de la CAPB pourront profiter de la gratuité d’entrée au musée jusqu’en décembre ; ils sont déjà plus de 10 000 à avoir demandé leur pass à la mairie.
Quelle est l’image de Bayonne dans le reste de la France ? « Spontanément les gens répondent les fêtes de Bayonne, le jambon et le rugby », soupire Bouahlem Rekkas, le directeur de l’office du tourisme de Bayonne qui aimerait bien s’appuyer sur la réouverture du musée pour développer un tourisme culturel hors saison. Car Bayonne dispose de nombreux atouts pour attirer les touristes urbains d’un week-end. À quatre heures de Paris par le TGV, elle offre les avantages du climat tempéré de la région, conjugué à une ville patrimoniale bien dotée en équipements culturels. L’offre hôtelière est encore limitée pour ce type de tourisme (18 hôtels sur la commune, dont six hôtels 4 étoiles), mais la situation est en train de changer comme en témoigne l’ouverture récente de la Villa Koegui en face du musée, un hôtel de luxe chaleureux. « Nous avons plusieurs demandes pour créer des hôtels 3 étoiles », confirme Yves Ulgade, le maire adjoint.
Problème : les habitants ont un rapport ambivalent avec le tourisme. Les très fréquentées stations balnéaires de la côte atlantique (Biarritz, Saint-Jean-de-Luz) exercent une tension sur le foncier jusqu’à Bayonne. Ce dont témoignent plusieurs fenêtres du Petit Bayonne qui arborent des drapeaux revendiquant les logements pour les locaux. Les fêtes de Bayonne ou la Foire au jambon attirent des millions de visiteurs et font confortablement vivre l’économie locale mais « point trop n’en faut ». On est encore loin du surtourisme de Barcelone et de l’exaspération des Barcelonais à l’égard des noceurs qui viennent perturber les rues, mais la capitale catalane fait figure de repoussoir. Alors par simplification, on met dans le même sac ceux qui veulent faire la fête avec son cortège de nuisances et le « slow tourisme » qui veut visiter les musées et profiter du charme de la région.
La mairie va pourtant devoir prendre une position plus claire à l’égard du tourisme culturel. Le Musée Bonnat-Helleu a le potentiel pour attirer 100 000 visiteurs comme le Musée Fabre à Montpellier qui annonce une fréquentation double. Pour l’instant ses objectifs sont limités, 60 000 pour l’année 2026 de réouverture et 40 000 pour « l’atterrissage ». Castres et Bayonne célèbreront en 2028 le bicentenaire de la mort de Goya avec d’importants prêts du Louvre. Une nouvelle occasion de faire, cette fois, vraiment la fête !
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le Musée de Bayonne au centre d’un enjeu territorial complexe
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°666 du 28 novembre 2025, avec le titre suivant : Le Musée de Bayonne au centre d’un enjeu territorial complexe







