Restitutions

La collection Schloss, un vol à main armée

Par Philippe Sprang · L'ŒIL

Le 12 novembre 2010 - 702 mots

FRANCE / MONDE

En 1942, la Gestapo française met la main sur la collection Schloss. Vichy, Hitler et un marchand français se partagent les toiles. Près de la moitié des œuvres ne sont toujours pas retrouvées.

Un cas d’école. La collection d’abord, 372 toiles de maîtres hollandais et primitifs flamands des xviie et xviiie siècles, constituée à la fin du xixe siècle par Adolphe Schloss, un riche négociant français. Il y a des petits maîtres : Boursse, Brekelencamp, Molenaer…, on trouve aussi quelques Rembrandt, Holbein, Rubens, Frans Hals, Teniers, Van Dyck. C’est le plus bel ensemble de ce type constitué par un particulier, il est réputé dans l’Europe entière. Adolphe Schloss rêve d’acquérir un Vermeer, quitte à se défaire de tout ou partie de ses tableaux, il meurt en 1910 sans y parvenir, léguant la collection à sa femme, Mathilde Haas.
Le 20 août 1939, les héritiers veulent mettre la collection à l’abri. Une entreprise de transport emmène les œuvres de l’appartement avenue Henri-Martin à Paris au château du Chambon à Laguenne, un petit bourg situé en Corrèze, c’est un dépôt de la banque Jordaan. À toutes fins utiles, le bordereau de transport a été maquillé, dissimulant ainsi la nature exacte du chargement. Ce sont finalement des policiers français collaborationnistes, affectés à la protection de Goering, qui parviennent, au terme d’une enquête fouillée, à retrouver la trace du transporteur puis de la collection. 

Un hold-up de la Gestapo française
Le vendredi 10 septembre 1942, ­Darquier de Pellepoix, qui a succédé à Xavier Vallat au Commissariat aux questions juives, et Jean-François Lefranc, marchand de tableaux véreux installé quai Voltaire, sont reçus au 54, avenue d’Iéna, siège de l’ERR. Les attendent Bruno Lohse et son patron, le baron von Behr, aristocrate dépravé qui a fait fortune dans les années 1920 dans l’industrie cinématographique. L’objet de la réunion : comment mettre la main sur la collection en zone libre. Il sera fait appel à la bande Bonny-Lafont, la Gestapo de la rue Lauriston. Après le départ des visiteurs, Lohse fait parvenir un mémo à Goering qui lui donne carte blanche pour l’opération Schloss. Une opération qui s’apparente à un hold-up. Les hommes de la rue Lauriston s’emparent de la collection, les armes à la main, et se réfugient, avec les gendarmes français aux trousses, dans une caserne de la Wehrmacht à Angoulême. De René Bousquet, alors patron de la police de Vichy, à Pierre Laval, la rafle, qui devait être discrètement menée, tourne à la quasi-affaire d’État. Au point même que Goering dit à Lohse qu’il ne veut plus du tout être mêlé à cette histoire. De plus, Hitler a des vues sur la collection. 

Le partage du butin entre les prédateurs
 Au même moment, les membres de la famille Schloss sont arrêtés par la SEC, la police chargée des questions juives, et Lefranc est désigné comme administrateur judiciaire. La collection est aryanisée de façon à donner un aspect de légalité à une opération de grand banditisme. Une fois l’ensemble rapporté à Paris, l’État français va exercer un droit de préemption sur quarante-neuf tableaux. Vingt-deux toiles sont récupérées par Lefranc pour une bouchée de pain et Lohse vend trois œuvres à la marchande Almas-Dietrich, une curieuse transaction dont le docteur a du mal à expliquer les tenants et aboutissants. Le reste des pièces rejoint la collection de Hitler et est stocké au Führerbau à Munich sous le numéro 3108. Lors de l’arrivée de la VIIe armée à Munich le 30 avril 1945, le Führerbau est pillé et sur les 575 œuvres emportées par les pillards, 240 proviennent de la collection Schloss. Un peu plus de 150 chefs-d’œuvre sont toujours manquants, les professionnels se les refourguent telles des patates chaudes. Le 5 octobre 1990, le Portrait du pasteur Adrianus Tegularius de Frans Hals, exposé à la Biennale des antiquaires, est saisi à la demande des héritiers. En juillet 2001, après plus de dix ans de procédure, le responsable des achats du marchand new-yorkais Newhouse Galleries, qui exposait le tableau, a comparu devant le tribunal correctionnel de Nanterre, il a été condamné à de la prison avec sursis pour recel. Une première.

MNR

Retrouvez en ligne l’enquête sur les Musées nationaux récupérations parue dans L’œil n° 621 en février 2010.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°630 du 1 décembre 2010, avec le titre suivant : La collection Schloss, un vol à main armée

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