Dix artistes femmes à l’honneur

Reims. Esther Ferrer, Judit Reigl, Vera Molnár, Nil Yalter, Barbara Chase-Riboud… C’est un casting 5-étoiles qui s’invite sur les cimaises du Frac Champagne-Ardenne. Exposition événement, « Trajectoires que je suis. Lauréates du prix d’honneur Aware » célèbre un double anniversaire : celui de l’association Aware, laquelle a fêté en 2024 dix ans d’engagement en faveur de la réhabilitation des artistes femmes dans l’histoire de l’art, et celui du prix d’honneur Aware, décerné chaque année, depuis 2016, à une artiste femme active sur la scène française depuis plus de quarante ans. Placée sous le commissariat de Matylda Taszycka, Éléonore Besse et Ambre Panhard, l’exposition est une double réussite pour Aware : elle témoigne non seulement de la perspicacité des jurys de son prix d’honneur, les dix lauréates étant des piliers de l’histoire de l’art contemporain, mais aussi de la capacité de ses membres à signer des expositions de qualité.

Les trois commissaires soulignent habilement les préoccupations communes aux dix artistes, tout en insistant sur leur contribution aux mouvements artistiques des XXe et XXIe siècles. Prenant la forme d’une réflexion sur la perception du corps féminin, l’engagement féministe des artistes est en quelque sorte le fil conducteur de l’exposition. « Trajectoires que je suis » présente ainsi deux œuvres emblématiques de l’art corporel des années 1970 : des photographies de la performance Intime et personnel (1977) d’Esther Ferrer et La Femme sans tête (1974), première performance vidéo de Nil Yalter dans laquelle celle-ci inscrit au feutre noir sur son ventre un texte du poète Victor Nelli. Dans ce panthéon du body art figurent aussi Marina Abramović, Orlan, Valie Export ou encore Carolee Schneemann.

L’art corporel est également incarné par le film expérimental Double Labyrinthe (1976, 41 min) du duo Maria Klonaris et Katerina Thomadaki, l’une filmant l’autre, un regard articulant les notions d’identité et d’intériorité. Au-delà de ce corpus cohérent, l’exposition met en lumière la diversité des pratiques récompensées par le prix d’honneur : l’art numérique de Vera Molnár, pionnière du computer art ; la création et édition de la revue The Situationist Times par Jacqueline de Jong ; la tension entre figuration et abstraction chez Judit Reigl.

L’exposition rend par ailleurs hommage aux politiques d’acquisition des collections publiques françaises depuis leur création dans les années 1980. Du Centre national des arts plastiques tout d’abord, prêteur d’œuvres de Ferrer, Molnár, Marie Orensanz et Laura Lamiel. Des Fonds régionaux d’art contemporain (Frac) ensuite : le Frac Alsace et le Frac Pays de la Loire, mais surtout le Frac Lorraine, dont proviennent quelques-unes des pièces les plus remarquables de l’exposition – et, plus généralement, de l’histoire de l’art contemporain. Les tirages photographiques d’Intime et personnel (Ferrer), la sculpture Promenade (presque) aléatoire (1998-1999) de Molnár et les affiches de l’une des nombreuses actions du projet « C’est un dur métier que l’exil » (1976-2012) de Nil Yalter proviennent en effet de la collection du 49 Nord 6 Est.