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ART CONTEMPORAIN

Jacqueline de Jong rouvre le jeu

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 28 avril 2022 - 546 mots

PARIS

À 82 ans, l’artiste produit une œuvre toujours en prise avec son époque. Elle vient d’intégrer la Galerie Allen, qui montre une série picturale de la fin des années 1970.

Paris. Née aux Pays-Bas en 1939, Jacqueline de Jong a vécu à Paris, à la fin des années 1960, mais elle n’y a jamais été représentée par une galerie. Joseph Allen lui offre son premier solo dans la capitale, du moins le premier consacré à sa peinture. En 2020, l’espace d’art contemporain Treize, dans le 11e arrondissement, avait en effet accueilli l’adaptation parisienne de « Same Players Shoot Again ! », exposition présentant les archives d’un objet graphique inclassable, The Situationist Times (1962-1967), magazine autoédité par l’artiste après son exclusion de l’Internationale situationniste. Car Jacqueline de Jong, comme le rappelle la rétrospective en plusieurs étapes actuellement présentée au Kunstmuseum Ravensburg, en Allemagne, sous le titre « The Ultimate Kiss », est une figure importante de l’avant-garde européenne d’après-guerre. C’est le plus souvent à ses tableaux expressionnistes abstraits, traduisant l’influence du mouvement Cobra dont elle s’inspira librement, que l’on associe son nom. Mais son style est bien plus varié : ce que vient ici rappeler « Some Billiards », qui met en avant huit toiles d’une série réalisée à la fin des années 1970.

Dans une veine figurative que l’on pourrait au premier abord penser réaliste, ces toiles ont pour même point de départ le jeu de billard. À partir de là sont explorées plusieurs pistes. Black Billiards (1978) renverse la perspective, et la table à la verticale, mimant un monochrome noir sur lequel se détachent des formes géométriques – une diagonale, trois ronds dont deux blancs et un rouge pour dessiner la queue et les boules de billard – qui composent une œuvre abstraite, où la bordure en bois du tapis fait office de cadre peint, se détachant sur un imperceptible fond bleu réduit à un simple liseré. Avec Crispy Hands (1977, [voir ill.]), les figures, masculines, reviennent au premier plan : celle du joueur, engagé dans un coup virtuose, de dos, qui déforme son corps et laisse son visage impassible, comme celui de l’observateur nous faisant face. Autant de sérieux déconcerte et nous renvoie à notre propre contemplation désemparée. Dans Black Coup (1976-1978), une silhouette masculine de profil s’interpose entre le regard et le billard, gros plan sur une manche rouge retroussée, un léger effet de flou imprimant le mouvement, tandis que l’avant-bras et l’index repliés marquent l’effort, le moment d’avant, tentative picturale d’encapsuler l’espace et le temps. Dans l’angle inférieur de la toile, la mosaïque du carrelage introduit un motif bigarré vert et brun. Peut-être un clin d’œil à la pratique polymorphe de Jacqueline de Jong, qui est allée jusqu’à intégrer l’artisanat. L’autre clin d’œil, plus appuyé, sous-tend ces histoires de balistique de considérations plus érotiques : la queue, les boules, un bon coup… Jacqueline de Jong aime aussi jouer avec les mots. Est-ce le moment de la redécouvrir ? Très certainement. En 2019, elle fut la lauréate du prix d’honneur Aware, tandis que plusieurs de ses œuvres sont entrées récemment dans des collections publiques (Centre Pompidou-Musée national d’art moderne, Cnap, Frac Bretagne…). Dans cette série de billards (dont les prix vont de 40 000 à 70 000 euros), on prend la mesure de son humour et de sa liberté.

Jacqueline de Jong, Some Billiards (1976-1979),
jusqu’au 22 mai, Galerie Allen, 6, passage Sainte-Avoye, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : Jacqueline de Jong rouvre le jeu

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