Art contemporain

À l’origine d’ORLAN

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 5 mars 2021 - 824 mots

PARIS

La galerie Ceysson & Bénétière poursuit son travail de relecture de l’œuvre de cette pionnière du féminisme en ressuscitant des photographies des années 1960.

Paris. Voilà trois ans que la galerie Ceysson & Bénétière représente ORLAN. Elle a choisi d’aborder son œuvre sous un éclairage susceptible de lui conférer une dimension historique, en reprenant son parcours depuis le commencement. Avec « ORLAN avant ORLAN », en 2018, la galerie avait ainsi exhumé des peintures sur plaques laminées du début des années 1970 peu connues, Problématiques géométriques, très éloignées des images que l’on associe spontanément au travail de l’artiste. Une manière de remettre les compteurs à zéro pour pouvoir dérouler le fil autrement. Après une rétrospective à New York, ce troisième solo show – le deuxième à Paris – entre en résonance avec l’autobiographie d’ORLAN à paraître en mai prochain chez Gallimard. Au programme donc, une relecture générale de la vie et de l’œuvre.

L’exposition est consacrée cette fois-ci à une série de photographies en noir et blanc réalisées pour la plupart dans les années 1960. « Ces œuvres, dans lesquelles je pose nue, sont désormais impossibles à montrer sur les réseaux sociaux », souligne la septuagénaire, indignée de cette censure a priori. Certaines sont devenues iconiques : ORLAN accouche d’elle-m’aime (1964) qui montre la jeune femme, en surplomb, étrangement dédoublée par le buste siamois d’un mannequin. De même que cette Tentative de sortir du cadre (1964), dont ORLAN rappelle : « C’est ce que j’ai tenté de faire toute ma vie », et dont elle a également proposé une autre version, À visage découvert-1966.

Son corps à nu

Le visage, qui sera bientôt central dans l’œuvre de l’artiste – en particulier dans la série des « Reconfigurations-Self-Hybridations » où elle le greffe sur des emprunts à la statuaire africaine, à l’art précolombien, chinois, indien… – est ici en retrait par rapport au corps, contorsionné, sculptural. Voire, dominateur, avec ce Nu descendant l’escalier en talons compensés (1967) et en contreplongée. La figure se cache, renversée en arrière, masquée, ou dérobée au regard par une chevelure abondante et épandue dans Corps sculpture sans visage en mouvement dansant avec son ombre N°6 (1967).

Certaines images, comme ORLAN apprivoisant le serpent (1967), sont inédites. « Quand vous avez atteint une certaine maturité en tant qu’artiste, la plupart de vos œuvres des débuts sont soit perdues, soit en mauvais état, soit dans les réserves… Et tout le monde les a oubliées, y compris vous-même, assure ORLAN. Pour les redécouvrir, il faut qu’il y ait quelqu’un qui veuille faire un peu d’archéologie. » Cette incursion dans le passé s’avère d’autant plus intéressante que l’on se trouve face à la matrice de toute la production à venir.

Plus tardif, l’ensemble de dix-huit portraits en pied Strip-tease occasionnel à l’aide des draps du trousseau (1975) constitue d’ailleurs pour ORLAN un véritable « manifeste visuel ». Travestie en « madone bourguignonne » par un savant drapé baroque, elle s’y livre à un effeuillage autant qu’à une étude du pli, dans une démarche provocante qui annonce celle de la Panoplie de la fille bonne à marier (1981), tout en faisant explicitement référence à La Naissance de Vénus de Sandro Boticelli. « Restent au sol les draps comme une chrysalide dont on ne sait pas quel corps va naître… », glisse-t-elle en faisant remarquer, en bas à droite de chaque image, la présence d’une flèche invitant à connaître la suite. « Mais le strip-tease féminin est impossible : les femmes sont revêtues de stéréotypes. Je pense qu’être une femme est une calamité biologique et sociétale. » Devant ces tirages auxquels l’agrandissement octroie un grain vintage particulier, on s’étonne autant de la jeunesse de l’artiste que de sa radicalité conceptuelle. En particulier, devant Action or-lent action au ralenti en sens interdit (1964) : ORLAN a dix-sept ans sur ces quatre photos qui anticipent, à travers cette confrontation du corps avec l’espace public, ses premiers MesuRages.

La performance jusqu’au bloc opératoire

Qu’a-t-elle souhaité dire dans son autobiographie, écrite pendant le premier confinement ? « Tout sur ma vie et mon œuvre : j’ai voulu montrer à quel point ils étaient imbriqués. » Et combien, selon elle, « la vie est un phénomène esthétique récupérable ». Ainsi de la série des opérations-chirurgicales performances, dont l’idée lui vient dans l’urgence d’une intervention : lors d’un symposium sur la performance, à Lyon, en 1979, elle subit une complication extra-utérine qui nécessite une hospitalisation. « On peut en mourir dans les quarante minutes. J’ai quand même eu le temps d’installer le matériel photo et vidéo dans le bloc opératoire et de faire filmer cette opération pour en faire une œuvre à part entière », relate la plasticienne. Elle peaufine ce procédé dans les années 1990, allant jusqu’à filmer et retransmettre en direct une de ses interventions où, avec la complicité des médecins, son corps est modifié, devenant un objet de réflexion, de débat. « J’ai toujours considéré que le corps, la sphère privée, est politique », affirme-t-elle. Et la question de savoir ce qui est permis – ou pas – d’en montrer, n’a jamais cessé d’être révélatrice.

ORLAN Strip-tease historique,
jusqu’au 21 mars, Galerie Ceysson & Bénétière, 23 rue du Renard, 75004 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°562 du 5 mars 2021, avec le titre suivant : À l’origine d’Orlan

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