Russie - Censure - Justice

Une artiste russe poursuivie pour des dessins de sexes féminins

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 27 février 2020 - 518 mots

KOMSOMOLSK SUR AMOUR / RUSSIE

La jeune femme est en résidence surveillée depuis 3 mois et risque de 2 à 6 ans de prison pour des dessins anodins.

Oeuvre de Loulia Tsvetkova représentant un vagin. © L. Tsvetkova.
œuvre de Ioulia Tsvetkova représentant un vagin.
© L. Tsvetkova.

Gustave Courbet serait passible de prison s'il peignait de nos jours en Russie. Les sexes féminins dessinés par la jeune artiste féministe Ioulia Tsvetkova, 26 ans, lui valent d'être en résidence surveillée depuis déjà trois mois. Et de recevoir des menaces de mort. Une enquête pénale a été ouverte contre elle par la police de Komsomolsk sur Amour (extrême orient russe) sous l'article 242 du code criminel, qui punit de 2 à 6 ans de prison les coupables de « diffusion illégale de pornographie en ligne ».

L'affaire mobilise les féministes russes, mais aussi des artistes contemporains comme Vladimir Dubossarsky et Dmitry Gutov, ainsi que le galeriste Marat Guelman. Tous réclament la cessation immédiate des poursuites judiciaires contre la jeune femme.

Ioulia Tsvetkova publie ses dessins dans un groupe du réseau social russe vk.com, l'équivalent russe de Facebook. L’application de l'article 242 est particulièrement arbitraire, du fait que le réseau social vk.com regorge de contenus pornographiques et qu'aucune mesure de censure n'est prise à l'encontre des utilisateurs publiant ce type de contenu.

Militante féministe et pour les droits des LGBTQ, Ioulia Tsvetkova réalise aussi des posters portant des slogans anodins comme : « Des rides et des cheveux blancs apparaissent sur les femmes, et c'est normal ». Mais cette activité irrite beaucoup dans une Russie où les médias sont dominés par un discours anti-féministe et intolérant envers les minorités sexuelles.

Ioulia Tsvetkova se plaint du régime d'isolement sévère dont elle fait l'objet. Depuis un mois, toutes ses demandes pour se rendre chez son dentiste ont été rejetées par l'officier de police responsable de l'enquête. Elle souffre d'une malocclusion dentaire et doit se faire opérer de toute urgence, faute de quoi « Julia peut avoir une névrite du trijumeau, son visage sera déformé et elle deviendra handicapée », a déclaré son dentiste au journal indépendant Novaïa Gazeta. La police aurait conditionné le traitement à l'interrogatoire de la mère de Ioulia Tsvetkova, affirme l'artiste.

Dans une autre procédure apparemment illégale, la police aurait fait pression sur un mineur, l'incitant à porter plainte contre l'artiste, ce qui aurait permis des poursuites en vertu de l'article du code pénal punissant « la propagande homosexuelle en direction des mineurs ». La mère de l'artiste affirme qu'un élève du théâtre MERAK, où Ioulia Tsvetkova met en scène des spectacles, a longuement été interrogé par la police, mais a fini par se déclarer comme simple témoin dans l'enquête.

Non content d'être poursuivie par la justice russe, Ioulia Tsvetkova est en outre la cible de harcèlement en ligne. Lundi 24 février, elle a publié sur sa page Facebook des messages de menace : « Passé le 31 mars, elle pourra être tuée dans la rue ou chez elle si la somme de 250 bitcoins [près de 2 millions d'euros] n'est pas versée sur le compte suivant ». Ces messages viennent d'une organisation violemment homophobe appelée « Scie contre LGBT », déjà connue pour cyber-harcèlement et peut-être mêlée au meurtre d'une activiste LGBT à Saint-Pétersbourg l'année dernière. Le mot Scie est une référence au film d'horreur américain Saw.

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