Russie - Censure

Des artistes russes sur la liste des « agents de l’étranger »

MOSCOU / RUSSIE

Cinq artistes sont désormais marqués du sceau infamant d’« agents de l’étranger », aux côtés de journalistes critiques envers la politique du Kremlin.

Moscou. Cinq artistes russes, dont trois membres du collectif Pussy Riot et le plus célèbre galeriste russe d’art contemporain, figurent depuis décembre 2021 sur la liste des « agents de l’étranger » établie par le ministère russe de la Justice. Introduit par le Kremlin en 2017, « agent de l’étranger » est un sceau infamant évoquant le climat des purges staliniennes et la xénophobie régnant à l’époque de la Grande Terreur. Visant au départ les médias critiques envers le Kremlin, puis certains journalistes, activistes, ce n’est que tout récemment que le sceau a été accolé à des artistes. La jeune actionniste féministe de Saint-Pétersbourg Daria Apakhontchitch, elle, fut la première à être ainsi ostracisée en décembre 2020. Elle s’est depuis exilée.

Justifier de sa comptabilité

L’étiquette d’« agent de l’étranger » oblige à indiquer en introduction à toute production publique le texte suivant en lettres capitales : « CE MESSAGE (OU OBJET) A ÉTÉ CRÉÉ (OU) DIFFUSÉ PAR UN MÉDIA DE MASSE ÉTRANGER, REMPLISSANT LA FONCTION D’AGENT DE L’ÉTRANGER, OU PAR UNE PERSONNE MORALE REMPLISSANT LA FONCTION D’AGENT DE L’ÉTRANGER. » Cela qu’il s’agisse d’un tweet, d’une émission de radio ou d’une œuvre d’art.

Les agents de l’étranger sont en outre ensevelis sous une paperasse administrative. Ils ont l’obligation de présenter mensuellement au ministère de la Justice une comptabilité intégrale et détaillée de toute somme perçue (description des sources) et de toute dépense, aussi minuscule la somme soit-elle. Ils doivent se soumettre à un audit annuel réalisé à leurs frais. La décision d’inclure des artistes « a été prise sur la base de documents reçus des autorités compétentes de l’État », précise le ministère de la Justice. Selon le ministère, les personnes inscrites sur la liste « distribuent systématiquement du matériel à un cercle indéfini de personnes, tout en recevant des financements étrangers ».

Nadejda Tolokonnikova, égérie des Pussy Riot, a réagi sur Twitter par un geste obscène et la promesse de ne pas obtempérer. L’écrivain Victor Shenderovich, placé sur la liste le 30 décembre, soupçonne que « les autorités veulent [l]e contraindre à l’exil ». Très populaire pour ses satires politiques télévisées intitulées « Les poupées » et interdites au début des années 2000 par Vladimir Poutine, Shenderovich déplore vivre « au sein d’un État qui [lui] est hostile ». Le galeriste Marat Guelman, qui vient de léguer 200 œuvres de sa collection à la Galerie Tretiakov, un musée d’État, a toutes les raisons d’être amer. « Si recevoir de l’argent de sources étrangères est condamnable, comment les artistes sont-ils supposés faire une carrière internationale, devenir mondialement célèbres ? », s’interroge Marat Guelman sur sa page Facebook (dans un message démarrant par : « CE MESSAGE (OU OBJET)… ». Poursuivant : « Le Kremlin va-t-il payer lui-même pour les échanges culturels ? C’est le cas pour cinq grands musées d’État, mais comment faire pour les centaines de galeries, les milliers d’associations non gouvernementales et les artistes ? Mes collègues comprennent qu’il s’agit d’une complet isolement de la scène internationale. Ensuite, nous aurons droit à la séparation entre la scène officielle et la scène clandestine. […] je ne comprends pas pourquoi mes collègues ne se prennent pas la tête entre les mains et ne font même pas mine d’être concernés. Ce n’est même plus du conformisme, mais une capitulation. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°581 du 21 janvier 2022, avec le titre suivant : Des artistes russes sur la liste des « agents de l’étranger »

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