Censure - Russie

La censure prive les russes de l’Ours d’or 2021

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 14 juin 2021 - 466 mots

MOSCOU / RUSSIE

Le film qui contient des scènes sexuelles est interdit en Russie au nom d’un moralisme très opportuniste.

Bad Luck Banging or Loony Porn, 2021, réalisé par Radu Jude, 1h 46 min.
Bad Luck Banging or Loony Porn, 2021, réalisé par Radu Jude, 1h 46 min

Le ministère de la Culture de Russie a refusé vendredi 11 juin d’accorder un visa d’exploitation au film « Bad Luck Banging or Loony Porn », du réalisateur roumain Radu Jude. Cette satire de l’hypocrisie dans les sociétés contemporaines a reçu en mars l’Ours d’or lors de la Berlinale 2021. Sa sortie en France est programmée pour le 15 décembre. 

Le département cinéma du ministère de la Culture, chargé de veiller à la conformité à la loi russe des films projetés sur grand écran, a indiqué que « Bad Luck Banging or Loony Porn » contient « des images faisant l’apologie de la pornographie ». Le film raconte les mésaventures d’une institutrice après qu’une vidéo montrant ses ébats soit malencontreusement diffusée sur un réseau social. 

Le réalisateur Radu Jude assure que son film n’est pas pornographique : il raconte des problèmes sociaux et moraux, tout en posant la question en toile de fond sur ce que nos sociétés considèrent comme obscène. « L’idée est de confronter deux types d’obscénités et de constater que les obscénités du type de la pornographie ne sont en rien comparées à d’autres types d’obscénités courantes auxquelles nous ne prêtons pas attention », a-t-il déclaré au magazine Variety. La comédie a été projetée lors de deux séances sur les écrans moscovites dans le cadre du Festival international du film de Moscou en avril dernier. Sans soulever de vagues. 

Ces dernières années, plusieurs films ont été interdits par les autorités russes, le plus célèbre étant « La Mort de Staline », une comédie du britannique Armando Iannucci sortie en 1997. D’autres films sont partiellement censurés, comme le drame « Supernova », avec Colin Firth et Stanley Tucci, sorti en mars dernier. Plusieurs minutes ont été coupées dans la version normale, des scènes où des hommes tentent d’avoir des relations sexuelles. Le réalisateur Harry McQueen avait alors reproché à son distributeur d’avoir obtempéré aux censeurs russes.

Le sujet de « Bad Luck Banging or Loony Porn » pourrait avoir inspiré des réalisateurs russes. Plusieurs incidents similaires survenus ces dernières années ont défrayé la chronique, notamment une série de licenciements d’enseignantes accusées de mauvaise moralité. Il s’agissait le plus souvent de photographies de plage ou d’affichage de solidarité avec les personnes LGBT, montés en épingles par des officines ultra-conservatrices proches liées aux autorités. Depuis 2012, Vladimir Poutine se pose en défenseur des « valeurs traditionnelles » et rejette le libéralisme venu d’occident. 

Quiconque s’écarte de la ligne définie par le pouvoir s’expose désormais à de lourdes sanctions pénales. Y compris de manière rétroactive. Ainsi, Andreï Borovikov, un jeune militant d’opposition a écopé le 29 avril de 2 ans et demi de prison pour avoir partagé en 2014 sur un réseau social un clip du groupe rock Rammstein, ultérieurement classé comme « pornographique » par la justice russe.
 

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