Russie - Censure

Une galerie de Moscou fermée pour activisme politique

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 2 novembre 2015 - 630 mots

MOSCOU / RUSSIE

MOSCOU (RUSSIE) [02.11.15] - Marat Guelman a de nouveau été prié de fermer sa galerie moscovite en raison de ses prises de positions anti-Poutine. L’agitateur politique s’est réfugié il y a 2 ans au Monténégro.

La galerie du trublion de l’art contemporain russe Marat Guelman a été priée jeudi 29 octobre de déguerpir du centre d’art contemporain moscovite Winzavod d’ici le 5 novembre. L’organisation quelques jours auparavant d’une vente aux enchères au bénéfice des prisonniers politiques russes semble avoir été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La direction de Winzavod a signifié à Guelman la rupture du contrat pour « infractions systématiques aux conditions du contrat ». « L’espace d’exposition de Marat Guelman a été utilisé à maintes reprises dans des buts qui n’ont pas de lien direct avec l’art ». En outre, « plusieurs infractions dans le régime de versement du loyer ont été constatées », indique la lettre envoyée par Winzavod au galeriste.

Marat Guelman réplique n’avoir aucune dette envers Winzavod, où sa galerie, Alliance culturelle, occupe un emplacement de choix depuis la création du centre d’art contemporain en 2007. Le galeriste, qui a déjà échappé de peu à une éviction de Winzavod en 2013, également pour son engagement politique, estime que l’éviction est liée à son soutien envers les prisonniers politiques russes. Il s’agit d’une dizaine de personnes incarcérées ou poursuivies pour avoir manifesté contre le retour au Kremlin de Vladimir Poutine en 2012. Un théâtre d’avant-garde ayant monté une pièce sur les mêmes évènements a connu des déboires similaires l’année dernière.

Réputé pour soutenir et exposer les artistes les plus controversés et/ou politisés du pays, Marat Guelman affiche son opposition radicale au Kremlin, ce qui est rare dans le monde de l’art contemporain, où l’on suit généralement une stratégie d’évitement. De sorte que la galerie Alliance culturelle et les expositions organisées par Guelman en Russie sont régulièrement la cible d’attaques venant des milieux orthodoxes et nationalistes. Très pessimiste sur la situation politique en Russie, Marat Guelman a choisi il y a deux ans de s’installer au Monténégro pour y fonder son propre centre d’art contemporain avec le soutien des autorités locales.

Cherchant du soutien au sein de la communauté artistique russe, Guelman appelle depuis son exil de Budva ses collègues à agir. « Je pense que les médias n’ont plus d’influence sur [la direction de Winzavod]. Il semble que le Rubicon ait été franchi, et que les gens se moquent de leur propre réputation. Mais les relations avec le monde artistique continuent d’importer, car sans vous ils ne sont rien », a écrit le trublion sur sa page Facebook. Le mécène Igor Tsoukanov a déjà réagi en appelant publiquement la directrice de Winzavod Sofia Trotsenko à revenir sur sa décision : « Ni vous ni votre mari [l’homme d’affaires Roman Trotsenko, propriétaire de Winzavod] n’y gagnerez rien, au contraire ». Tsoukanov s’est en outre porté garant financièrement de Guelman.

Sofia Trotsenko décline toute responsabilité dans cette affaire, affirmant que l’initiative de l’éviction revient à la société de gestion de Winzavod MVK Estate. « Je m’occupe du programme artistique de Winzavod. Marat Guelman peut déclarer ce que bon lui semble. Je ne signe pas les contrats de location et je n’ai aucun rapport avec cette activité. Nous avons une société de gestion pour cela, qui ne donne aucun commentaire », a déclaré Trotsenko au quotidien RBK. Trotsenko s’était pareillement caché derrière la société muette lors de la précédente tentative d’éviction de Guelman en 2013, avant de revenir sur sa décision à cause du ramdam médiatique créé par l’affaire.

C’est dans ces circonstances moroses que l’Alliance Culturelle a ouvert ce vendredi une dernière exposition au sens allégorique. Oleg Kulik y montre ses photographies d’animaux morts et le serbe Milio Pavicev des labyrinthes aux entrées multiples.

Légende photo

Marat Gelman en 2010 © Photo Sealle - 2010 - Licence CC BY-SA 3.0

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