Ukraine - Disparition

Disparition suspecte de Stas Volyazlovsky, figure de la contre-culture ukrainienne

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 21 février 2018 - 695 mots

KHERSON / UKRAINE

Une galerie russe rend hommage à l’artiste décédé brutalement il y a un mois à l’âge de 46 ans. Une enquête pour meurtre est ouverte.

Stas Volyazlovsky
Stas Volyazlovsky

Stas Volyazlovsky, l’un des principaux artistes contemporains ukrainiens s’est éteint le 9 janvier à Kherson, dans des circonstances troubles à l’âge de 46 ans. Sa mort violente - la police de Kherson a ouvert une enquête pour meurtre - serait passée sous le radar des médias si la galerie moscovite Regina - l’une des plus anciennes et respectées de Russie - n’avait organisé en hommage une grande rétrospective ces jours-ci, dont son ami le photographe Sergueï Bratkov est le commissaire. 

Artiste controversé, transgressif et prolifique, Volyazlovsky avait été sélectionné par Jean-Hubert Martin pour participer à la biennale de Moscou en 2009 et fut lauréat du Prix Kasimir Malevitch en 2012. Hormis ces deux percées sur le devant de la scène, et la participation à quelques événements (biennale d’Issy en 2001, Armory Show de New York (2008 et 2011), Artissima de Turin en 2008, Art Basel 2011, Vienna Fair 2013, entre autres) son oeuvre n’a trouvé ni le chemin des musées ni celui des collections des riches mécènes russes et ukrainiens. 

Probablement trop choquante et complexe, son oeuvre est soutenue par un petit groupe de galeristes (Regina à Moscou et Karas à Kiev), ainsi que par la commissaire polonaise Monika Szewczyk. Son travail a en outre intéressé la photographe américaine Cindy Sherman, qui a acquis au moins une toile de l’artiste ukrainien pour sa collection. « Les collectionneurs russes ou étrangers achètent rarement Volyazlovsky », déplore Vladimir Ovcharenko, propriétaire de Regina. « Il ne compte aucun collectionneur de référence. D’ailleurs, en dix ans de collaboration avec Stas, je n’ai jamais eu la moindre demande venant d’Ukraine », explique le galeriste au Journal des Arts. Tous les proches de l’artistes s’accordent à dire que la majeure partie des œuvres se trouve désormais entre les mains de Regina. Le galeriste Evgen Karas dit posséder 31 œuvres du défunt : « je pense être le seul à posséder ses travaux en Ukraine, à part sa famille ». 

Le penchant de Stas Volyazlovsky à violer systématiquement les tabous (sexualité, mort, violence, bêtise, politique, religion) des sociétés ukrainienne et russe explique son statut « d’artiste maudit ». Révolté et émotif, il n’avait de cesse de s’écarter du bon goût et des conventions pour aller au bout de la catharsis. Les thèmes interdis sont évoqués de la manière la plus crue et la plus intense dans une série surnommée « torchons ». On y voit des monstres inspirés de Hans Bellmer ou de Jérôme Bosch, organes sexuels, symboles du pouvoir, patriarche orthodoxe, politiciens, dessinés dans les moindres détails, sur des tissus maculés paraissant avoir été trouvés parmi les déchets d’un établissement pénitentiaire. Volyazlovsky avait trouvé une expression générique pour son travail : « l’art chanson »

En russe, la chanson est moins un genre musical qu’une contre-culture carcérale très contemporaine, racontant de manière imagée les formes les plus variées de l’oppression de l’homme par l’homme. Comme sur des murs de toilettes (ou sur des icônes anciennes), dessins et textes se côtoient sur ces « torchons ».
Faussement brutes, ces compositions sont en fait très élaborées, à l’instar des peintures de Pavel Filonov, que Volyazlovsky considère comme l’une de ses principales influences. Les textes apportent une distance et une ironie omniprésente. L’humour corrosif rapproche Volyazlovsky d’autres artistes ukrainiens contemporains majeurs comme Arsen Savadov et Vassili Tsagolov, et constitue sans doute l’un des traits les plus saillants de l’art de ce pays.

La galerie Regina fait preuve d’une témérité peu commune en montrant au public moscovite la satire féroce que fait Volyazlovsky du pouvoir actuel. L’une des œuvres de l’exposition montre un patriarche orthodoxe en érection et arborant des symboles communistes. Des galeries d’art ont fait l’objet de descentes violentes pour bien moins que ça. La crainte de troubler la campagne présidentielle crée peut-être un temps mort dont bénéficie Vladimir Ovcharenko. 

Regina propose aujourd’hui ses oeuvres sur papier à partir de 2 000 euros, celles de sa série « torchons » valent entre 10 et 25 000 euros. Une oeuvre sera vendue aux enchères du 10 avril chez vladey.net

informations

“Give a blowjob in Heaven”,
exposition hommage à Stas Volyazlovsky, jusqu’au 1er mars 2018 

https://www.reginagallery.com

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