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Tempora, le « Culturespaces belge » veut se renforcer en France

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 20 décembre 2019 - 996 mots

BRUXELLES / BELGIQUE

L’opérateur culturel privé cherche un nouveau modèle économique. Il annonce une réorientation de ses activités, avec une stratégie tournée vers la France et la gestion de musées.

Benoït Remiche. © Photo André Ferreira.
Benoït Remiche
© Photo André Ferreira.

Pour Benoît Remiche, « Tempora peut se définir comme un opérateur culturel, ou une agence culturelle, mais nous préférons parler de “collectif” ». Le directeur de Tempora joue sur les mots, car la société qu’il a créée en 1998 s’est fait connaître comme producteur d’expositions temporaires en Belgique et en Europe, avec un tropisme pour « l’histoire européenne et les conflits du XXe siècle ». Jusqu’en 2003, Tempora fonctionnait avec une équipe réduite, jusqu’à ce que l’opérateur remporte des appels d’offres pour restructurer les parcours de musées belges (le Museum Aan de Stroom à Anvers, l’Atomium à Bruxelles).

Mais c’est l’appel d’offres pour le nouveau musée de la Seconde Guerre mondiale à Gdansk (Pologne) en 2009 qui marque le début d’une stratégie européenne, et d’une expertise fondée sur un réseau d’universitaires et d’historiens. Depuis 2010, Tempora a développé une activité de gestion de lieux culturels, d’abord en Belgique (Musée de la guerre à Bastogne, La Boverie [musée des beaux-arts] à Liège) puis plus récemment en France. Cette branche représente d’ailleurs près de 20 % des 12 millions d’euros de chiffre d’affaires (2019). En parallèle, Tempora a produit plusieurs expositions itinérantes à succès, dont « 21 rue La Boétie » sur la collection Rosenberg : l’opérateur culturel qui emploie aujourd’hui plus de soixante personnes multiplie donc les projets ambitieux.

Le modèle économique de Tempora est-il unique en son genre ? Benoît Remiche aime à le croire, et il souligne ici l’intégration au sein de son équipe de toutes les étapes, de la conception au graphisme en passant par la logistique. « Ce modèle est difficile à comprendre pour des Français habitués à un État central fort », ajoute-t-il. Il plaide pour des initiatives culturelles privées en Belgique, « pays où la nation s’est délitée et où l’identité est fragmentée ».

Ce modèle d’opérateur privé n’est cependant pas inconnu en France puisque Culturespaces, à l’image de Tempora, produit des expositions et gère des lieux culturels (Musée Maillol). Benoît Remiche estime que Tempora se distingue de son homologue français par son « expertise scientifique» en amont des expositions, mais, en France comme en Belgique, le modèle de ces opérateurs privés suscite des réticences dans les milieux muséaux.

En effet, même si l’approche « anthropologique » revendiquée par Tempora ressemble à celle de musées dits « de civilisation » (Confluences à Lyon, MuCEM à Marseille), l’agence belge reste un acteur sans implantation territoriale. Pour Cédric Lesec, directeur des relations extérieures du musée des Confluences, c’est là l’enjeu : « La société Tempora base son modèle économique sur la circulation des expositions et se définit en quelque sorte à l’inverse d’un musée comme les Confluences. » Selon lui, là où un musée doit s’ancrer dans le territoire et « affirmer un parti pris dans ses expositions », une agence privée doit au contraire « lisser son discours pour pouvoir exporter facilement ses expositions ». Benoît Remiche objecte sur ce point que Tempora a abordé des sujets clivants comme les religions (« Dieux mode d’emploi ») et l’islam (« Islam, c’est aussi noptre histoire ! », lire le JdA no 489, 17 novembre 2017). Certaines réactions politiques à ces expositions prouvent, ajoute-t-il, que « Tempora ne fait pas du politiquement correct ». Il évoque pourtant le risque de « s’autocensurer » en amont des expositions car il cherche avant tout « l’accès au plus grand nombre »: se pose donc la question du récit que portent les expositions ou les parcours permanents produits par Tempora.

Actionnaire du Mémorial de Caen

Pour porter ses ambitions, Benoît Remiche vient d’annoncer une levée de fonds sur cinq ans, et une implantation accrue en France. Les projections pour 2025 donnent un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros. La gestion de lieux culturels devrait ainsi atteindre 50 % de l’activité de l’opérateur en 2025, alors que celle des projets sur commande devrait plafonner à 20 %. Tempora vise en France de petits musées ou des sites culturels en région, comme la maison natale de Saint-Exupéry dans l’Ain, en surfant sur la « dynamique française en matière d’expositions de civilisation » des dernières années. L’agence a déjà fait ses premiers pas en France au Mémorial de Caen (une société anonyme d’économie mixte) dont elle est désormais actionnaire, tandis que le Mémorial est entré à son capital. Benoît Remiche rappelle que sa société a noué des partenariats en Italie et en Allemagne pour ses expositions itinérantes, une stratégie européenne qui se consolide lentement.

Mais en parallèle, Tempora cherche à renforcer son assise locale en Belgique. L’agence postule pour cela à la gestion des musées en Wallonie, et envisage un lieu pérenne pour ses expositions. « Nous avons aujourd’hui la crédibilité pour trouver des investisseurs, et nous cherchons un lieu en région bruxelloise, en raison du bassin de public potentiel qui s’y trouve », explique Benoît Remiche. La gestion du musée de La Boverie à Liège entre aussi dans cette stratégie tournée vers la Belgique, afin de redonner à Tempora une identité belge au moment où ses activités s’internationalisent. Enfin l’opérateur se lance désormais dans des expositions d’art contemporain, un domaine où il va devoir faire ses preuves : l’actuelle exposition sur la sculpture hyperréaliste ne prend pas beaucoup de risques avec un thème classique de l’histoire de l’art. Les cinq années à venir diront donc si ce modèle de développement tous azimuts a porté ses fruits.

Précisions du Mémorial de Caen. 4 janvier 2020

Le Mémorial est entrée au capital de TEMPORA en 2016 à hauteur de 9,93 %, en parallèle, TEMPORA est entrée dans le nôtre à 1,35 %. Outre les droits classiques des actionnaires (droit de voter à l’assemblée générale, droit aux dividendes, pour l’essentiel), cette participation croisée s’est accompagnée de l’attribution d’un siège au conseil d’administration. Ce n’est pas un droit automatique : il a été décidé que chacun devait siéger au conseil d’administration du partenaire, ce qui confère un vrai pouvoir de regard et de décision sur la gestion. C’est en ce sens que la participation croisée relève d’un partenariat et non pas d’une simple opération financière.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°535 du 13 décembre 2019, avec le titre suivant : Tempora, le “culturespaces belge” veut se renforcer en france

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