Russie - Politique

A Moscou, une sculpture réhabilite Ivan le Terrible

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 28 juillet 2017 - 598 mots

MOSCOU / RUSSIE

MOSCOU (RUSSIE) [28.07.17] - Un monument érigé à la gloire du plus tyrannique des Tsars russes trône depuis mercredi dans le centre de la capitale russe. Le Kremlin œuvre à la réhabilitation du despotisme à travers la culture.

Ilia Répine, Ivan le Terrible et son fils le 16 novembre 1581
Ilia Répine (1844-1930), Ivan le Terrible et son fils le 16 novembre 1581 (1885), 199,5 × 254 cm

D’empaleur paranoïaque à monarque respectable, il y a une statue de différence. Jusqu’ici, les Russes se représentaient Ivan le Terrible grâce à l’illustre tableau expressionniste avant l’heure d’Ilia Repine (galerie Tretiakov), où le Tsar étreint le cadavre de son fils, qu’il vient d’assassiner dans un accès de folie. Désormais, le Tsar le plus controversé de l’histoire russe offre un visage autrement plus vénérable aux passants moscovites.

Une statue en bronze, haute de trois mètres, d’Ivan le Terrible (une traduction plus correcte serait « le Redoutable ») est apparue sans crier gare mercredi matin en plein cœur de Moscou. Impérieux, une ride profonde barrant son front, le Tsar pointe du doigt le sol, comme enjoignant de s’agenouiller à ses pieds.

La statue trône à l’entrée de la Société d’histoire militaire russe (RVIO en russe), qui est présidée par le très conservateur ministre de la culture Vladimir Medinsky. Davantage intéressé par « l’éducation patriotique » que par le développement des arts, le ministre de la culture est connu pour abhorrer toute allusion à des fautes perpétrées par l’État russe (ou soviétique, ou impérial). L’installation de la statue intervient à peine une semaine après que le président Vladimir Poutine ait déclaré à la surprise générale qu’Ivan le Terrible « est victime de la calomnie des ennemis de la Russie » et qu’il n’a jamais tué son fils. Selon le président russe, les catholiques sont à l’origine des ragots sur le Tsar.

Avec une bonne dose de mauvaise foi, le RVIO se défend que la statue d’Ivan n’est pas un monument, mais « une œuvre d’art temporairement installée ». Sa disposition sur la voie publique claironne le contraire.

L’œuvre du très académique sculpteur Vassili Selivanov, membre de l’Union des artistes russe, était pourtant promise à un site beaucoup plus modeste, aux abords de la petite ville provinciale d’Alexandrov. Mais ses habitants, très remontés contre l’initiative des autorités locales, ont fait des pieds et des mains pour que la statue soit enlevée sur le champ. Et ce fut littéralement fait dans l’heure, d’après la presse locale.

Mais le ministre Medinsky n’allait pas laisser sans demeure un despote, ni une nouvelle occasion de créer la polémique. Il se trouve que le siège du RVIO a récemment inauguré une « allée des dirigeants » bordée des deux côtés par les bustes d’une trentaine de Tsars (à l’exception d’Ivan IV). L’auteur des bustes, le fameux sculpteur Zourab Tsereteli, a été aussitôt accusé d’avoir lourdement plagié six d’entre eux par l’historien des arts Sergueï Chokarev, photos à l’appui. Sauf que Tsereteli est président de l’académie des arts russes, introduit dans les plus hautes sphères de l’État, et pas à une polémique près non plus. L’article accusateur de Chokarev a prestement été effacé du site du journal municipal et la RVIO refuse de commenter. Les mécontents de la réhabilitation d’Ivan le Terrible savent à quoi s’en tenir.

Ivan IV le Terrible a régné 50 ans à la fin du 16ème siècle. Il est le dernier de la dynastie des Riourikides et son règne ouvre le « temps des troubles », une des périodes les plus chaotiques de l’histoire russe. Il introduit le servage, instaure un régime de terreur, et crée l’Opritchina, l’ancêtre de la police politique. Mais il mène aussi la guerre aux Suédois, aux Polonais et aux Tatars et étend ainsi considérablement le territoire de l’empire vers la Sibérie.

Thématiques

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque