Musée

Le Nigéria veut se réapproprier son héritage culturel

Par Sindbad Hammache · lejournaldesarts.fr

Le 6 février 2019 - 854 mots

NIGERIA

Berceau d’une culture particulièrement riche, le sud-ouest du Nigéria se dote de deux nouvelles institutions culturelles.

Épée royale et fourreau perlé avec ornements en ivoire de la culture/du peuple Yoruba, faite entre le 19e et le 20e siècle
Épée royale et fourreau perlé avec ornements en ivoire, culture Yoruba, XIXe/XXe siècle
Photo Kaldari

Sur l’île de Lagos, le J.K. Randle Centre était devenu une ruine. Fondé en 1928, c’était un lieu culturel et de divertissement pour les habitants de la ville. Situé dans une zone réaménagée il a été détruit mais le nom a été gardé. Le nouveau J.K. Randle Centre sera livré en mai, transformé en centre culturel dédié à la culture Yoruba, l’ethnie dominante de cette région côtière du pays. Impulsé par le gouvernement de l’Etat de Lagos, un des 36 Etats de la République fédérale du Nigéria, ce projet résonne avec les nombreuses initiatives muséales du continent.        

Pour M. Akinwunmi Ambode, gouverneur de l’Etat de Lagos, l’établissement de ce nouveau musée répond à une stratégie de développement économique : le secteur touristique permet, avec un petit investissement économique, d’avoir d’importantes retombées économiques. Cette visée économique ne justifie pas seule l’investissement de l’Etat, elle se double d’un projet culturel qui vise à revitaliser la culture Yoruba et de la doter d’un centre d’étude propre. 

Le 2 février 2018, lors d’un symposium au British Museum, M. Steve Ayorinde, commissaire chargé du tourisme de l’Etat de Lagos, a formellement demandé le retour d’une pièce riche en symboles : un tabouret sculpté qui fut l’un des premiers objets collectés au Nigeria, en 1830, par l’explorateur Richard Lander. Une pièce marquant le début de la colonisation anglaise, que Steve Ayorinde verrait bien devenir une pièce centrale de l’exposition. A cette occasion, il a présenté le J.K. Randle Centre comme une « institution de classe internationale, qui permettra aux Yorubas de récupérer leur patrimoine. »

Lors du même évènement, le gouverneur d’un autre Etat nigérian, l’Etat d’Edo, a présenté son projet pour le Musée Royal du Bénin, en construction à Benin City (Bénin fait ici référence au royaume coutumier situé au Nigéria, et non à la République du Bénin). M. Godwin Obaseki promet lui aussi une institution « de classe internationale », qui intégrera un centre de recherche archéologique. En novembre 2018, le gouverneur avait annoncé consacrer 500 millions de Naira (1,3 million d’euros) au lieu qui devrait voir le jour dans trois ans.
    
Ce lieu s’intégrera dans un ensemble classé de palais royaux, où réside encore l’Oba du Bénin, Ewuare II, roi coutumier qui conserve un pouvoir d’influence bien réel. Ce dernier est également impliqué dans la construction du musée qui aura pour but de présenter des artefacts du royaume, fameux pour ses réalisations en bronze, mais aussi de faire de Benin City la « capitale culturelle de l’Afrique de l’ouest ». A Lagos comme à Benin City, les deux projets semblent poursuivre à la fois un but régional, la célébration et la préservation d’une culture, et un objectif supranational, dans le développement d’un tourisme interafricain.

Le Musée Royal du Bénin a obtenu du British Museum, le retour temporaire d’un ensemble de sculptures en bronze, emportées par les anglais lors du pillage de Bénin City en 1897. Il s’appuie sur un groupe de travail, « The Benin Dialogue Group », qui réunit officiels de l’Etat d’Edo, membres de la famille royale, et représentants des musées de Vienne, Berlin, Londres et Leiden. Les institutions européennes se sont mises d’accord sur un roulement des expositions, et ont proposé une coopération dans le développement des nouvelles institutions africaines.

L’Etat fédéral nigérian semble peu présent. Ce grand pays de 200 millions d’habitants est constitué de trois grandes régions, l’ouest, où se trouve Lagos et Edo, le sud-est et le nord. L’objectif de l’Etat fédéral est d’établir un réseau de « musées nationaux de l’unité » dans chacun des 36 états, présentant tous la diversité culturelle du Nigéria, riche de 250 groupes ethniques différents.

Les deux musées en construction célèbreront des cultures à la production artistique riche et bien représentée dans les institutions européennes. Le royaume du Bénin a connu un âge d’or au XV-XVIème siècle, une période marquée par la production de plaques en bronze historiées, de têtes en laiton et de masques-pendentifs en ivoire, trois typologies prisées des collectionneurs et institutions européennes. La culture Yoruba est fameuse pour sa mythologie foisonnante, qui s’est implantée jusqu’au Brésil via les navires négriers. Le J.K. Randle aura pour mission de préserver cet ensemble de croyances ainsi que les manifestations qui s’y rattachent ; il pourrait exiger le retour d’un certains nombres d’œuvres qui figurent parmi les plus importantes de l’art africain classique. Les sculptures du royaume d’Ife (XII-XIIIe siècle), qui ont tant dérouté les historiens de l’art, font par exemple partie de l’aire culturelle Yoruba. 

Trois terres cuites de la culture Nok avaient été achetées par l’Etat français à un vendeur belge, alors qu’elles figuraient sur la liste rouge de l’ICOM. L’illégalité de cette acquisition avait amené la France à signer un accord avec le Nigéria : une reconnaissance de la propriété du Nigéria assortie d’un prêt à la France pour 25 ans renouvelable sur accord. Une situation qui devrait intéresser Lagos comme Benin City, dans la mesure où la culture Nok, qui s’est épanoui du XIe siècle au IVe siècle avant J.-C., serait l’ancêtre commun des Yorubas et du Bénin.

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