Musée

Musée de l’impression sur étoffes

Le musée des étoffes de Mulhouse toujours en convalescence 

L’opération de sauvetage continue

Par Héloïse Décarre · Le Journal des Arts

Le 9 février 2023 - 1198 mots

MULHOUSE

Après le décès de son directeur et le pillage de ses réserves, le musée mulhousien, témoin de l’histoire locale, se bat pour sa survie. Mais le combat est loin d’être gagné.

 Musée de l'impression sur étoffes, côté canal, Mulhouse - Photo Ji-Elle, 2012
Musée de l'impression sur étoffes, côté canal, Mulhouse, 2012
Photo Ji-Elle

Mulhouse. Ses nouveaux responsables s’accordent pour le dire : la survie du Musée de l’impression sur étoffes (MISE) de Mulhouse tient du miracle. Il faut dire que le MISE revient de loin. Quand le scandale des vols éclate en 2018 [lire encadré], l’institution est gérée par une structure associative, peu regardante. À la tête du musée, Éric Bellargent, directeur autodidacte, et Jean-François Keller, délégué à la conservation, sans véritable qualification. Les collections anciennes ne sont alors pas précisément inventoriées et il devient facile de se servir discrètement. D’autant qu’elles ont de la valeur, 80 000 objets témoignent de l’histoire de la mode et du passé industriel de la ville rhénane, berceau du textile.

200 000 euros de dettes

Mais du passé, Roland Onimus, le vice-président de l’agglomération de Mulhouse en charge du tourisme, de la culture et des affaires transfrontalières, ne veut plus en parler. « On a évité le pire : la fermeture du musée. Peu de gens y croyaient, et les employées avaient vraiment peur », se souvient-il. Élu président du musée l’année dernière, il se félicite, aux côtés de Laurent Dufour, responsable du service Tourisme et Musées de l’agglomération, d’avoir franchi une première étape, celle de l’apurement des dettes. Elles s’élevaient à plus de 200 000 euros. « On s’est battu, reconnaît Roland Onimus. La région Grand-Est, la Communauté européenne d’Alsace, la ville de Mulhouse et M2A [Mulhouse Alsace Agglomération] ont chacune donné 50 000 euros au musée, ce qui nous a permis de sortir la tête de l’eau. » M2A continuera de maintenir le MISE en vie, en lui injectant 200 000 euros tous les ans.

Des subventions plus que nécessaires pour remettre le musée à flot. Car si, en 2019, il disposait d’un budget d’environ 1,1 million d’euros, ses sources de revenus se sont depuis taries. La fréquentation peine à remonter : 13 000 personnes ont visité le MISE en 2022. C’est mieux qu’en 2021, encore marquée par la crise sanitaire (11 000 visiteurs), mais loin des 30 000 passages par an décomptés avant 2018. La boutique du musée a certes réalisé un chiffre d’affaires plus élevé que prévu, mais les bénéfices ne dépassent pas 142 000 euros. Quant au Service d’utilisation des documents (SUD), vaste bibliothèque textile encaissant d’ordinaire des redevances auprès de stylistes et de maisons de luxe, elle a fait l’objet, par la Drac Grand-Est, d’une mise en demeure de commencer le chantier des collections et est pour le moment inutilisable.

Et le SUD n’est en effet pas près de rouvrir ses portes. Quand l’État comprend, en 2018, que les réserves du MISE, labellisé « Musée de France », ont été pillées, il reprend la main. En 2021 est lancé un chantier « titanesque », selon l’équipe qui le conduit. Pendant trois ans (*), Alexia Fontaine, directrice scientifique du chantier des collections, pilote l’inventaire et le récolement de 1 303 livres d’échantillons textiles, 20 000 échantillons textiles, et 20 650 pièces d’arts graphiques (dessins, empreintes, maquettes et livres de gravure) rassemblés au SUD. Des restaurations et des numérisations sont également prévues. En tout, ce sont 550 000 euros qui ont été investis par la Drac, en faisant appel à des prestataires extérieurs ou en acquérant du matériel.

En attendant, le MISE doit chercher d’autres moyens de financement. Et, plus que tout, retrouver des mécènes. « On doit les reconquérir, leur redonner confiance, car on a perdu beaucoup de monde », regrette Roland Onimus tout en saluant ceux qui sont restés, comme l’entreprise alsacienne Barrisol, qui fournit matériel et décoration à l’établissement. Selon lui, un changement d’organisation structurelle s’impose. « Actuellement, c’est toujours une association qui gère le musée. Si on reste sous ce statut, je ne pense pas que nos partenaires nous suivront », admet-il. À l’horizon 2024, M2A souhaite que le musée devienne un Établissement public de coopération culturelle.

Une année de remise à niveau

En attendant cette échéance, 2023 servira d’« année-test », selon Roland Onimus. Au programme : des travaux de maintenance et de mise aux normes, mais aucune exposition permanente. « Cette année, les ambitions vont rester modestes, confirme-t-il. Nous allons proposer une exposition pédagogique sur le chantier des collections, pour présenter l’envers du décor, des animations en lien avec le textile, et des ateliers solidaires avec le Gang des tricoteuses de Mulhouse », précise-t-il.

Confiant pour l’avenir, Roland Onimus espère, à long terme, pouvoir rendre le MISE plus attractif. Collaboration avec des institutions locales – comme le Musée du papier peint de Rixheim –, communication avec l’Allemagne voisine… Tout reste à imaginer. Difficile d’être optimiste, pourtant, selon Pierre Freyburger, ex-élu de la cité du Bollwerk et auteur de deux livres sur l’affaire (Musée de l’impression sur étoffes de Mulhouse, autopsie d’un pillage et Le Naufrage d’un musée, écrit avec Hélène Poizat, journaliste à L’Alsace) : « C’est une bonne chose que les collectivités s’intéressent de plus près à ce musée. Encore faut-il un élu qui soit passionné par le sujet et qui comprenne son enjeu. Il faudrait quelqu’un qui ait une vision, des idées. » Une ligne directrice mettra du temps à émerger, car le MISE n’en a pour l’instant pas les moyens, qu’ils soient humains ou financiers.

Le lourd passé du MISE  


Justice. Au commencement, il y a deux vases Gallé. Des vases sur le point d’être mis en vente quand, en mars 2018, Sotheby’s alerte le directeur du MISE, Éric Bellargent : les objets appartiennent aux collections mulhousiennes. Leur possesseur les a acquis sur eBay auprès d’un vendeur qui n’a pas tenté de dissimuler son identité, Jean-François Keller… le délégué à la conservation du musée. Éric Bellargent porte plainte quelques jours plus tard. Jean-François Keller, de son côté, multiplie les arrêts de travail. L’affaire prend une tournure dramatique quand, au lendemain de sa convocation par la police judiciaire, Éric Bellargent monte sur une échelle afin de changer une ampoule, au-dessus du grand escalier du musée. Sa chute est mortelle. Sans témoin, l’investigation conclut à un accident du travail.

L’enquête sur les vols révèle que le MISE n’a pas seulement perdu son directeur : les réserves du musée ont été vidées. 4 100 livres d’échantillons textiles sur 5 148 ont disparu, tout comme la moitié des dessins, une centaine d’empreintes cachemire et 440 carrés Hermès sur 515. Un butin estimé 3 millions d’euros. Fin avril 2018, Jean-François Keller est mis en examen pour le vol des deux vases Gallé et des carrés Hermès. Il reconnaît ces seuls faits, tout en soutenant qu’il n’a pas agi seul. Il passe trois mois en prison. Libéré à l’été 2018, il attend maintenant son procès. Une cinquantaine de livres d’échantillons dérobés ont été retrouvés depuis le début de l’enquête menée par l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels. Une enquête qui se poursuit maintenant aux États-Unis où une commission rogatoire a été lancée, selon la procureure de Mulhouse, Edwige Roux-Morizot.

 

Héloïse Décarre

Précision - 17 févrir 2023

(*) Alexia Fontaine a commencé en décembre dernier le pilotage du chantier des collections qui va durer 3 ans.
S’il n’y aura pas d’exposition temporaire en 2023, les salles des collections permanentes sont ouvertes.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°604 du 3 février 2023, avec le titre suivant : Musée de l’impression sur étoffes de Mulhouse : l’opération de sauvetage continue

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