Musée - Numérique

Le collectif TeamLab ouvre son musée d’art numérique

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 11 septembre 2018 - 858 mots

Tandis que l’exposition parisienne « Au-delà des limites » ferme ses portes à la Villette, le collectif protéiforme dispose dorénavant à Tokyo d’un lieu permanent où se pressent des visiteurs conquis par ses expositions immersives et interactives.

Le musée teamLab Borderless, à Tokyo.
Le musée teamLab Borderless, à Tokyo.
Photo Gaikan

Tokyo. Face à la grande roue qui permet d’avoir une vue imprenable sur la baie de Tokyo, « teamLab borderless » est un musée d’un nouveau genre. Ouvert en partenariat avec le promoteur immobilier Mori Building, il voisine, dans le quartier d’Odaiba, avec le showroom géant du fabricant automobile Toyota. Le lieu, à proximité d’un des sites des Jeux olympiques 2020, vise à devenir une destination touristique incontournable. Une fois franchi le seuil, le visiteur découvre sur 10 000 mètres carrés plongés dans l’obscurité un vaste labyrinthe articulé en cinq zones thématiques (Borderless World, Athletics Forest, Future Park, Forest of Lamps et En Tea house). Chacun est invité à y expérimenter un flux visuel presque ininterrompu qui investit toute la surface – sols, murs et plafonds confondus – dans une immense toile de fond mouvante et colorée générée par ordinateur. Là, le spectateur évolue au milieu d’un immense champ de fleurs stylisées que butinent d’éphémères papillons : les fragiles créatures meurent si on les effleure. Ici c’est à perte de vue une jungle clignotante de stalactites électriques couvertes de leds multicolores ; plus loin, on pénètre en petits groupes dans ce qui évoque un remake des « Infinity Mirrors » de Yayoi Kusama, dont les pois auraient été remplacés par des lampes rosissant sous l’effet de la chaleur humaine. Le parcours enchaîne ainsi les séquences à effets surprenants dans une ambiance de fête foraine aseptisée.

Entièrement numérique, immersif, interactif, tient-on là un modèle de musée pour le futur ? À la différence de l’Atelier des lumières ouvert à Paris en septembre 2018, qui remixe et projette en version pixellisée des « succès » et pièces maîtresses de l’histoire de l’art – par exemple cet été les tableaux des peintres viennois Klimt et Schiele –, « teamLab Borderless » présente pour sa part des créations 100 % originales, conçues par une nébuleuse de quelque 500 artistes, programmateurs, ­ingénieurs, mathématiciens, ­architectes… et autres « ultratechnologistes ». Fondé en 2001, le label, qui développe également depuis ses débuts des ­programmes informatiques commerciaux, a dû attendre plusieurs années avant de bénéficier d’une reconnaissance culturelle au Japon, couronnée en 2015 par l’éclatante réussite de sa première exposition dans l’archipel, vue par près d’un demi-million de visiteurs. Exposées un peu partout en Asie, les installations spectaculaires du collectif, représenté depuis 2014 par la Pace Gallery de New York, ont depuis intégré des collections privées et quelques collections publiques comme la Borusan Contemporary Art Collection d’Istanbul ou la National Gallery of Victoria, à Melbourne. Son établissement pérenne sur le sol nippon constitue l’ultime étape de sa consécration.

Compétences très diversifiées d’un collectif « sans frontières », travail en réseau, technologie de pointe, anonymat du groupe… l’étoffe de teamLab semble taillée à même le tissu d’une nouvelle économie qui bouleverse les codes en vigueur. Son discours, cependant, à l’instar de celui d’une marque mondialisée, ne recule pas devant de nombreux poncifs : ainsi ses œuvres immersives viseraient-elles à « connecter l’homme avec la nature ». On peut se demander si des centaines de projecteurs et d’ordinateurs en batterie sont le meilleur moyen d’établir cette connexion. « L’important, c’est que les gens puissent vivre une expérience physique de rencontre avec l’art », assure cependant Takeshi Kudo, le très disert directeur de la communication du label.

L’attrait pour l’innovation

Pour l’heure, « teamLab borderless » accueille une population très familiale – dès l’entrée, un emplacement est d’ailleurs dévolu aux nombreuses poussettes qui y sont entreposées au fil des heures. En cet été tokyoïte caniculaire, le public est bien au rendez-vous. À raison de 5 000 visiteurs par jour en moyenne, le flot continu est régulé par un système d’inscription en ligne qui évite, une fois à l’intérieur, le risque d’encombrement. C’est heureux, car tout concourt par ailleurs à une impression de saturation rétinienne.

La grande innovation, bien sûr, c’est la possibilité pour le spectateur de prendre part à l’action, non seulement au niveau tactile, mais aussi grâce à une application qui lui offre d’interagir en direct avec le flot visuel. Sans doute très complexe à mettre en place, cette possibilité reste cependant d’un impact réel relativement limité. Mais l’idée est là. Chacun peut, non seulement poster des images incroyablement photogéniques sur les réseaux sociaux, mais y prendre part pour une expérience « unique » au sens où sa séquence ne se renouvellera pas. TeamLab invente ainsi un concept de musée vivant. L’absence de perspective, lointain héritage de la peinture japonaise traditionnelle, est l’autre trouvaille du dispositif. Elle renforce le sentiment vertigineux de perte de repères, de même que l’environnement sonore lancinant dans lequel baigne l’intégralité des espaces.

Peut-on parler de l’art comme d’un divertissement? Takeshi Kudo préfère rappeler l’ambition du projet : « nous voulons changer le monde grâce à l’art », répète-t-il comme un mantra. Le prochain chantier de teamLab a d’ailleurs tout de l’utopie en marche. Le collectif aurait en effet été approché par un de ses fans chinois pour concevoir, sur « des millions de mètres carrés dans la région de Shenzhen », une ville entièrement numérique que l’on pourra visiter, voire habiter…

Mori Building Digital art Museum : teamLab Borderless,
Odaiba Palette Town, 1-3-8 Aomi, Koto-ku, Tokyo (Japon).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°506 du 7 septembre 2018, avec le titre suivant : Le collectif TeamLab ouvre son musée d’art numérique

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