Nouvelles technologies

Numérique

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 29 août 2018 - 877 mots

C’est l’épine dans le pied du musée : le numérique s’est imposé partout, dans nos poches, dans nos maisons, dans nos administrations et nos boutiques, partout, sauf au musée. 

Gustav Klimt – Atelier des Lumières
Gustav Klimt – Atelier des Lumières
Photo E. Spiller
© Culturespaces / Nuit de Chine

Et pour cause, ce dernier se sent coincé entre sa mission fondatrice et cette « nouvelle » technologie. Entre la conservation et l’exposition des œuvres matérielles à des fins d’étude, d’éducation et de délectation, et leur inéluctable dématérialisation. Le numérique demande des compétences que n’a pas toujours l’institution en interne – déjà en sous-effectif. Il coûte cher – autrement, il plante –, et le matériel et les applications deviennent vite obsolètes… Mais la raison souvent invoquée est que le numérique éloignerait les visiteurs des œuvres. Ce n’est pas faux. Un tableau, une fresque, une sculpture ne sauraient se réduire à un écran.

En juin, une chronique assassine d’Adrien Goetz résumait, dans Le Figaro, ces réticences. Elle portait sur l’Atelier des lumières, « un centre d’art numérique » ouvert en avril 2018 à Paris où l’on propose « des expositions immersives monumentales où des œuvres d’art sont projetées sur le mur et le sol, accompagnées de musique », expliquait dans L’Œil le P.-D.G. de Culturespaces, créateur du concept. Un dispositif qualifié de « tapageur » par Adrien Goetz, un « massacre rentable qui se drape dans l’alibi de la culture pour tous ». « Ici, écrit l’historien d’art et écrivain, l’art vous fait du bien comme un massage ayurvédique, un enveloppement d’algues, le contraire de ce monde ennuyeux et triste des musées traditionnels. Tant pis si les chefs-d’œuvre les plus subtils de Klimt, si construits, si médités, se retrouvent traités comme du papier peint, utilisés en rideaux de douche, en décor de fond d’aquarium. » Adrien Goetz ne fait pas dans la dentelle, mais il a raison sur un point : l’Atelier des lumières n’est pas à proprement parler une « exposition » d’art, mais un spectacle son et lumière conçu autour de la projection de tableaux de Klimt, de Schiele et d’Hundertwasser.

Une « insulte à la fois à Vienne, la perfection de l’art de Klimt, la crudité de Schiele », juge Goetz, qui sait pourtant que « Klimt survivra ». Il survivra, rassurons-le, et le public avec lui, auquel c’est faire injure de penser qu’il serait incapable de faire la différence entre le musée et l’Atelier des lumières, entre une œuvre originale et son avatar numérique. Ne le fait-il pas déjà entre un roman et ses adaptations au cinéma, à la télévision ou en BD ? Si l’Atelier des lumières n’est pas la réponse définitive au défi numérique, il en est une des pistes. Il existe. Mieux, il est, comme son cousin les Carrières de lumières aux Baux-de-Provence, plébiscité. Plus de 400 000 visiteurs ont en effet expérimenté le concept les trois premiers mois de son ouverture, soit près de deux fois plus que l’exposition Kupka au Grand Palais (228 059 visiteurs) – une « vraie » exposition, celle-ci. Ce chiffre est à lire comme le signe d’une demande ou, tout au moins, d’un intérêt, qui met un peu plus encore en exergue le retard des musées en la matière.

Problème, plus le temps passe, plus le fossé se creuse entre l’offre de ces derniers, restée au XXe siècle, et les attentes d’un public les deux pieds ancrés dans le XXIe. Après tout, le numérique nous éloigne-t-il vraiment des œuvres ? Oui, quand il se substitue à elles. Non, s’il les commente, les contextualise, les donne à voir quand elles sont fragiles, indéplaçables, ou s’il les resitue dans une histoire en mouvement. Certes, quelques musées font déjà l’effort, à l’instar du Musée Fabre à Montpellier et du Musée de l’Ardenne à Charleville-Mézières. Quand le premier propose, dans sa magistrale exposition « Picasso, Donner à voir », un dispositif multimédia interactif en regard de la Femme aux mains jointes (1907) afin de percer les secrets de cette étude originale pour les Demoiselles d’Avignon, le second offre aux personnes aveugles et malvoyantes de découvrir onze œuvres de sa collection à partir d’une série d’impressions numériques réalisées en volume. Pertinentes, de telles initiatives demeurent toutefois bien timides face à l’inventivité dont font preuve les monuments historiques afin de répondre aux attentes de leur public, comme le montre ce mois-ci notre dossier sur l’attractivité du patrimoine.

Les musées ont-ils loupé le coche ? Lodève, en Occitanie, a inauguré cet été son nouveau bâtiment avec son nouveau parcours. Ce dernier a été entièrement repensé autour des collections, pourtant arides, de sciences de la Terre, d’archéologie et de sculpture, et… du multimédia. La muséographie a en effet été voulue « immersive, interactive et poétique », tous ces adjectifs qui font peur aux musées. Pourtant, à Lodève, cela fonctionne. Le résultat est pédagogique et intelligent, drôle et documenté. Les écrans de la Salle du temps permettent de prendre la mesure d’un million d’années. La Dalle du permien redonne vie aux animaux préhistoriques dont le visiteur peut suivre les empreintes retraçant leur passage. De courts dessins animés mettent en scène une famille qui redonne vie aux objets de la collection : vases citernes, statues menhirs, etc. Tout est là, les objets avec leurs traditionnels cartels et légendes, mais accompagnés, chose nouvelle, d’un récit passant par le numérique. Et si le Musée de Lodève faisait école ? Il ferait alors entrer de plain-pied les musées dans le XXIe siècle. Ce n’est pas insulter les musées que de le souhaiter.
 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°715 du 1 septembre 2018, avec le titre suivant : Numérique

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