Art moderne

XIXE-XXE SIÈCLES / VISITE GUIDÉE

Cézanne dans son intimité au Jas de Bouffan

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2025 - 881 mots

À Aix-en-Provence, le Musée Granet réunit plus de 130 œuvres pour éclairer le rôle fondateur du Jas de Bouffan dans la création de Cézanne.

Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). L’année 2025 ne marque aucun anniversaire concernant le peintre Paul Cézanne (1839-1906). Pourtant, il y a bien une année « Cezanne 2025 »* à Aix-en-Provence. La ville où il est né et mort acte ainsi l’importance qu’elle donne désormais à l’enfant du pays, dont témoignent l’acquisition et une première étape dans la restauration de la ferme, des jardins et de la bastide du Jas de Bouffan, où il a vécu et peint par intermittence de 1859 à 1899. Son dernier atelier, sur la colline des Lauves, ouvert au public, a été réaménagé tout comme le parcours dans les carrières de Bibémus qui l’ont inspiré. Les musées municipaux participent à cette célébration, en particulier le Musée Granet qui présente une exposition de grande ampleur labellisée « d’intérêt national », sous le commissariat de son directeur, Bruno Ely, et de Denis Coutagne, président de la Société Paul Cezanne.

Plus de 130 œuvres, prêtées par des musées et collectionneurs du monde entier, ont été rassemblées pour documenter le travail réalisé par l’artiste au Jas de Bouffan. Cette exposition « s’attache à la genèse même de l’œuvre du peintre, avec une volonté d’exhaustivité », affirment les commissaires dans le catalogue.

Sachant que l’un de ses grands collectionneurs est la Fondation Barnes, qui ne prête pas ses œuvres, et que la Russie détient des tableaux incontournables qu’il n’était pas possible de demander en raison de la guerre qu’elle mène contre l’Ukraine, il était évident que l’exhaustivité n’était qu’un vœu pieux. Des essais du catalogue mentionnent ces grands absents. Parmi les œuvres dont Denis Coutagne avoue qu’elles « manquent douloureusement », Jeune Fille au piano. Ouverture de Tannhäuser (1869-1870) représente l’une des sœurs et la mère du peintre dans le salon de la bastide. Reproduits ou non dans le catalogue, bien d’autres tableaux n’ont pas rejoint Aix-en-Provence, tels L’Avocat (l’oncle Dominique) (1866) ou Achille Emperaire (entre 1867 et 1868) pourtant du Musée d’Orsay.

Le clou de l’exposition est ailleurs, dans la reconstitution du grand salon dont les murs ont été peints à même le plâtre en plusieurs fois par Cézanne qui a parfois recouvert ses propres œuvres. Grâce à une animation, les visiteurs peuvent comprendre l’agencement complexe des scènes qui ont été ôtées des murs et vendues à la découpe, à l’exception de la partie supérieure de ce qui pourrait représenter l’entrée d’un port à la manière de Claude Lorrain, découverte en 2023 pendant la restauration de la maison et restée en place. Les commissaires ont pisté les morceaux dispersés, rassemblant pour la première fois 68 % de la surface peinte, connue par les photographies réalisées avant le démantèlement. Ils espèrent « insuffler un nouvel élan à la recherche des derniers fragments ». On soupçonne que plusieurs d’entre eux se trouvent dans des collections privées japonaises.

Sur les traces du Jas

Tout le parcours rend d’ailleurs compte d’une enquête puisque le propos était de déterminer ce qui avait été peint au Jas de Bouffan. Pour les vues de la maison, de la ferme ou du jardin, les lieux sont facilement reconnaissables. Concernant le Portrait de Gustave Boyer (vers 1870), une œuvre récemment redécouverte, des éléments biographiques permettent de le situer là. Pas de doute non plus pour La Femme à la cafetière (vers 1895), dont on reconnaît le papier peint qui se trouve derrière elle, ou le portrait Madame Cézanne dans la serre (1891). Quant au Paysan en blouse bleue (vers 1896-1897), celui-ci pose devant un paravent qui appartenait aux Cézanne et existe toujours. L’analyse des natures mortes révèle souvent leur localisation, par exemple, la présence d’un pot de gingembre qui faisait partie de la vaisselle de la bastide. Grâce à de tels éléments, Jayne Warman, dans un essai du catalogue, montre que le travail de déstructuration de l’espace accompli par le peintre s’est déroulé principalement dans ce laboratoire qu’était la propriété familiale. Si celle-ci est présentée comme un « atelier en plein air » où Cézanne multipliait les vues du jardin, les paysages sont peu abordés.

En dernière partie, les commissaires ouvrent les perspectives vers un « Au-delà du Jas de Bouffan ». Cette évocation de l’atelier des Lauves, construit en 1901 après la vente de la propriété, montre, sans explication, La Mer à l’Estaque (vers 1878-1879) et La Maison de Bellevue (vers 1890). Ces paysages relèvent de ce qu’on pourrait appeler le Jas intérieur de l’artiste qui n’est pas abordé ailleurs. Le territoire qu’il s’était approprié et sur lequel il expérimentait dépassait certainement les murs qui bornaient les terres de la bastide. Sa correspondance et les témoignages le montrent marchant vers Bibémus, vers la Sainte-Victoire et même jusqu’à l’Estaque dont il revenait le jour même ou le lendemain. C’était vrai aussi de Bellevue où habitait sa sœur Rose, avec sa perspective magnifique sur la montagne, et Gardanne où ont vécu un temps Hortense Fiquet, la compagne de l’artiste, et leur fils Paul. Il est évident que de nombreux paysages, que l’on classe comme « provençaux » et réalisés sur le motif, ont été en réalité peints au Jas de Bouffan et témoignent des recherches formelles que Cézanne y menait.

* Conformément à la signature du peintre, sa famille, la Société Paul Cezanne et la ville d’Aix-en-Provence ont choisi de ne pas mettre l’accent aigu sur son nom.

Cézanne au Jas de Bouffan,
jusqu’au 12 octobre au Musée Granet, place Saint-Jean-de-Malte, 13080 Aix-en-Provence.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°660 du 5 septembre 2025, avec le titre suivant : Cézanne dans son intimité au Jas de Bouffan

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