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Aix-en-Provence se réapproprie Paul Cézanne

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2024 - 935 mots

AIX-EN-PROVENCE

Malgré l’absence de collection, la Ville a décidé d’investir l’enfant du pays et de rénover pour 2025 les lieux de vie et de travail de l’artiste et d’organiser une grande exposition.

La Bastide du Jas de Bouffan, la maison de Paul Cézanne à Aix-en-Provence. © Sophie Spiteri
la Bastide du Jas de Bouffan à Aix-en-Provence.
© Sophie Spiteri

Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Une cinquantaine d’œuvres signées Paul Cézanne sont déjà confirmées pour l’exposition du Musée Granet en 2025. Le 15 février dernier, devant le Jas de Bouffan, Sophie Joissains cite le nom des institutions prêteuses pour le futur parcours : Musée d’Orsay, MoMa, Met Museum, Hiroshima Museum of Art. La maire d’Aix-en-Provence interrompt cette liste prestigieuse pour annoncer la nouvelle du jour : la découverte de ce qui reste d’un décor mural dans le Jas [lire encadré], où Cézanne vécut de manière intermittente quarante ans durant, et qui est identifié comme une œuvre de jeunesse du peintre. Une surprise de chantier qui tombe à pic pour la ville, en pleine préparation d’une saison consacrée au peintre en 2025 sans que cette année ne marque un anniversaire particulier.

Une « année Cézanne » à 20 M€

Le Jas de Bouffan – grande bastide provençale à l’entrée de la ville – fait l’objet d’une campagne de travaux, tout comme l’atelier de Cézanne, qui surplombe Aix-en-Provence depuis la colline des Lauves. « Nous avons une ambition de rayonnement international », précise la maire, qui investit quelque 20 millions d’euros dans cette année « Cézanne 2025 » (15 millions pour les deux chantiers, 5 à 6 millions pour l’exposition). Aix-en-Provence doit rattraper son retard pour réaffirmer son identité cézanienne. On prête ainsi à Henri Pontier, conservateur du Musée Granet au début du XXe siècle, cette déclaration péremptoire : « Moi vivant, aucun Cézanne n’entrera au musée. » Il faudra attendre 1984 pour qu’Aix-en-Provence cesse d’être « la ville sans Cézanne », grâce au dépôt de huit petites toiles à l’initiative de Jack Lang.

Les restes de la fresque retrouvée dans la maison de Cézanne. © Ville d'Aix-en-Provence / Philippe Biolatto
Les restes de la fresque retrouvée dans la maison de Cézanne.
© Ville d'Aix-en-Provence / Philippe Biolatto

Faute de collection majeure, la Ville valorise les lieux associés à la mémoire du peintre, dont les points de vue sur lesquels il expérimente la géométrisation du paysage : la montagne Sainte-Victoire, les carrières de Bibémus, le Jas de Bouffan… La rénovation de la bastide familiale prévoit ainsi une mise en valeur des points de vue à partir desquels Cézanne capture les grandes allées d’arbres qui entourent la bâtisse aux volets bleus. À l’intérieur, un parcours « Maisons des illustres » est en préparation, notamment grâce à l’acquisition par la Ville des meubles de la famille Granel-Corsy, à qui les Cézanne cèdent la propriété en 1899. Au sein du grand salon, les visiteurs retrouveront une évocation des premières peintures murales du jeune Cézanne : une évocation qui ne sera pas uniquement numérique, grâce à la récente découverte.

Au sud de la parcelle arborée, mince vestige de l’immense verger qui composait ce domaine, la Ville s’apprête à construire un espace d’accueil donnant directement sur l’avenue de l’Europe, desservie par une ligne de bus. Conçu comme une « montée vers la lumière » par l’agence d’architecture Huit et Demi, le bâtiment ne sera prêt qu’en 2026, mais l’accessibilité du site par les transports en commun sera effective en 2025. Un auditorium, un aménagement paysager et plusieurs espaces de médiation complètent ce projet à 7 millions d’euros. Le lieu deviendra également un centre de recherche, dont la vocation est « internationale », en accueillant les bureaux de la Société Paul Cézanne et du catalogue raisonné du peintre.

Un chantier de rénovation et paysager

Sur les hauteurs d’Aix-en-Provence, la Ville rendra intégralement au peintre son atelier, aujourd’hui à moitié occupé par des activités de boutique et de bureaux en son rez-de-chaussée. L’acquisition, en 2019, d’une maison mitoyenne libère ainsi le petit atelier. Relié par une petite passerelle, cet espace de 400 m2 accueillera toutes les fonctions support, ainsi que des expositions temporaires (sur 200 m2 supplémentaires). Avec une livraison estimée en juin 2025, ce chantier de rénovation répond à un enjeu touristique : les 50 mètres carrés de l’atelier accueillent d’ores et déjà 80 000 visiteurs par an.

« Ce sont deux sites, mais en fait dix chantiers », précise David Kirchthaler, chargé des opérations de restauration des monuments historiques pour la ville : chacune de ces réhabilitations se double en effet d’un chantier paysager, qui vise à restituer une nature moins sauvage, et plus proche de celle qu’observait le peintre par sa fenêtre. Commissaire des expositions « Cézanne en Provence » (2006), puis de « Picasso, Cézanne, le soleil en face » (2009), Bruno Ély, directeur du Musée Granet, assure n’avoir « jamais eu un projet aussi ambitieux et complet sur la renaissance cézannienne que pour 2025 ». Une centaine d’œuvres devraient jalonner le parcours de l’exposition, qui sera augmenté d’un dépôt de longue durée bientôt accordé par une grande fondation américaine.

Les restes de la fresque retrouvée dans la maison de Cézanne. © Ville d'Aix-en-Provence / Philippe Biolatto
Les restes de la fresque retrouvée dans la maison de Cézanne.
© Ville d'Aix-en-Provence / Philippe Biolatto
découverte d’une fresque de jeunesse

Restauration. Du grand salon du Jas de Bouffan, les spécialistes de Cézanne connaissent bien les photographies du début du siècle, montrant des ouvriers affairés à la dépose de peintures murales signées du peintre. Peu d’espoirs restaient donc de retrouver une trace des jeunes années de l’artiste. C’est un essuyé de pinceau détecté pendant une première phase de sondage qui attire l’attention des restaurateurs de l’entreprise Sinopia. « Nous avons préconisé des études supplémentaires, mais jamais on n’aurait pensé trouver les restes d’un grand décor », relate Antoinette Sinigaglia. C’est sur les bordures d’un des murs que la restauratrice révèle le contour d’un paysage de port à la manière de Claude Vernet, évidé en son centre, que des études supplémentaires attribuent à Cézanne. Pour les spécialistes, la découverte bouleverse la connaissance de ce tout premier décor mural réalisé dans la demeure familiale. « Ce qui nous interroge, c’est le genre de peintre que voulait être Cézanne à 20 ans. Il voulait faire de la peinture murale, réaliser de grands décors de gares parisiennes », explique l’historien de l’art Denis Coutagne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°628 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : Aix-en-Provence se réapproprie Paul Cézanne

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