Commande publique - Photographie

Radioscopie de la Grande commande photographique

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 16 mai 2023 - 806 mots

L’État a commandé, en 2021 et 2022, deux cents reportages sur la France à autant de photojournalistes.

Denis Dailleux, Laurent Helaine, éleveur de lapins hors sol, août 2022, série Suicides en terre agricole. © Denis Dailleux – Agence VU’ / Grande commande photojournalisme
Denis Dailleux, Laurent Helaine, éleveur de lapins hors sol, août 2022, série Suicides en terre agricole.
© Denis Dailleux – Agence VU’ / Grande commande photojournalisme

Paris. En août 2021, le ministère de la Culture annonçait « une grande commande publique destinée à des photojournalistes ». Cette commande s’inscrivait dans le cadre du plan d’aides à la presse lancé un an plus tôt par le président de la République. Intitulée « Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire », elle était dotée d’un budget de 5,46 millions d’euros sur deux ans et devait s’organiser en deux sessions au rythme d’une commande par an, l’une en 2021, l’autre en 2022. Commande passée à 100 photographes, « diplômés depuis 2018 ou pouvant justifier d’une collaboration avec une publication de presse dans les quatre dernières années ». Le pilotage en était confié à la Bibliothèque nationale de France (BNF). Aucune commande photographique de l’État n’avait jusqu’à présent atteint une telle somme ni bénéficié à un si grand nombre de photographes. Le budget de la Mission photographique de la Datar (1983-1986), de 2 millions de francs par an en moyenne [soit 500 000 euros actuels], concernait à l’époque 28 photographes contre 200 au total pour la grande commande actuelle.

Profils des lauréats

Ses organisateurs révèlent aujourd’hui son contenu et le profil des lauréats. La majeure partie du budget, soit 4,4 millions d’euros, a directement bénéficié aux lauréats, qui ont reçu chacun une bourse de 22 000 euros. Cette somme inclut la production, c’est-à-dire les frais de reportage et de tirage – à noter que dix d’entre eux intègrent les collections photographiques de la BNF dans le cadre de la commande. Une somme importante pour un photojournaliste dont les parutions dans la presse sont de plus en plus limitées et mal payées. Un décret de 2017 fixe la rémunération minimale à 60 euros brut pour cinq heures de travail !

Ils étaient donc nombreux à s’être portés candidats : 1 520 au total dont 71 % de photographes hommes et 29 % de photographes femmes : un ratio ramené lors de la sélection à 60 % d’hommes et 40 % de femmes. Un tiers d’entre eux a moins de 40 ans. Le plus jeune, Philémon Barbier, du collectif Hors format, avait 21 ans lors de la commande ; le plus âgé, Harry Gruyaert de l’agence Magnum, 81 ans. Outre les jeunes sortant des écoles de journalisme et/ou de photographie, cette commande représente pour nombre d’entre eux le premier soutien public dont ils bénéficient. Beaucoup de photojournalistes échappent en effet au circuit des aides publiques faute de les connaître, de se soumettre à l’exercice du dossier de candidature, ou de respecter l’écriture photo attendue.

« Parmi les 200 lauréats, près des trois quarts collaborent intensivement avec la presse, soit de manière indépendante, soit par l’intermédiaire d’agences de presse, le dernier quart se définissant plutôt comme des documentaristes auteurs collaborant régulièrement avec la presse », indique Héloïse Conesa, conservatrice chargée de la collection de photographie contemporaine à la BNF, en réponse à la polémique suscitée par le profil de certains lauréats et l’absence de photojournalistes reconnus tels Julien Daniel ou Éric Bouvet. « La Grande commande a pris en compte la porosité des pratiques des photographes de presse, comme la Mission de la Datar en son temps avait permis une nouvelle photographie de paysage plus documentaire que picturale. »

Cette commande confirme l’embarras ressenti aujourd’hui vis-à-vis du terme « photojournaliste » appliqué à une profession qui n’est plus aussi clairement définissable qu’avant et qui intègre quelques caractéristiques actuelles en matière de photo documentaire. On n’y relève quasiment pas de reportages de rue, du moins de photos prises sur le vif ou liées à un événement, et aucun reportage sur le secteur du luxe qui a prospéré pendant la pandémie. Le portrait domine largement et la couleur supplante le noir et blanc. Nombre de sujets portent sur les femmes, les jeunes, les personnes âgées, l’environnement, l’écologie, les néoruraux, les tiers lieux et les modes de vie alternatifs. Les questions de précarité, de l’accès au soin, de l’accueil et de l’insertion des migrants sont également majoritairement présentes. Si l’ensemble des régions de l’Hexagone, et une partie de l’ultramarin, sont couvertes, un faible nombre de reportages concernent les Hauts-de-France (4) et le Grand-Est (6).

En attendant la grande exposition que la BNF consacrera, du 19 mars au 23 juin 2024, à cette « radioscopie de la France traversée par la crise sanitaire », l’intégralité de ces 200 reportages et la biographie de leurs auteurs devraient être consultables sur le site du ministère (1) dès la fin mai. Certains d’entre eux ont d’ores et déjà été intégrés à la programmation de festivals tels que L’Homme et la mer (Le Guilvinec), Les femmes s’exposent (Houlgate), Portraits (Vichy) ou Visa pour l’Image (Perpignan), mais aussi à des expositions comme au Centre photographique documentaire à Sète, à la galerie Le Lieu à Lorient ou au Domaine de Kerguéhennec.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°611 du 12 mai 2023, avec le titre suivant : Radioscopie de la Grande commande photographique

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