Politique

POLITIQUE CULTURELLE ITALIENNE

Une réforme du ministère de la Culture provoque un tollé en Italie

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 15 juillet 2019 - 719 mots

ROME / ITALIE

Pour les opposants à ce projet, même le fascisme n’avait pas osé aller si loin.

Alberto Bonisoli, le ministre italien des Biens et Activités culturels, au vernissage de l'exposition « Armes et pouvoir » au Castel Sant'Angelo, le 25 juillet 2018.
Alberto Bonisoli, le ministre italien des Biens et Activités culturels, au vernissage de l'exposition « Armes et pouvoir » au Castel Sant'Angelo, le 25 juillet 2018.

Rome.« La réforme est un sport que tous les ministres veulent pratiquer en arrivant», se lamente un fonctionnaire du ministère des Biens et Activités culturels (Mibac). Alberto Bonisoli, proche du Mouvement 5 étoiles (M5S), qui en a pris la tête il y a un an, ne déroge pas à la règle. Il est l’auteur de la douzième réforme à être lancée en une vingtaine d’années. Le ministre de la Culture du « gouvernement du changement » applique le principe traditionnel en politique, selon lequel réformer équivaut souvent à défaire ce qu’a fait son prédécesseur. Dans ce cas, il s’agit de Dario Franceschini qui a donné son nom à une profonde réorganisation du ministère. Lancée en 2014, elle repose sur le regroupement de nombreux organismes, du niveau local à celui national, en deux grandes structures nationales. L’une est chargée de la protection du patrimoine et l’autre de sa valorisation. À cela s’ajoute la nomination des nouveaux directeurs de vingt grands musées parmi lesquels, pour la première fois, sept experts étrangers de renommée internationale. Ils ont été dotés d’une grande autonomie, notamment financière, pour moderniser leurs institutions.

Ces mesures centralisatrices, prises aux dépens des différentes surintendances (l’équivalent de nos directions régionales des Affaires culturelles), avaient à l’époque suscité les critiques acerbes du M5S. Ce n’est plus le cas depuis qu’il est au pouvoir, lançant une réforme qui va encore plus loin que celle à laquelle il s’était opposé. « Même le ministre fasciste Bottai n’avait pas osé être aussi centralisateur en rédigeant en 1939 la première loi organique de protection du patrimoine, déplore Francesco Prosperetti, le surintendant des biens culturels de Rome. Ce qui est en jeu, c’est l’état de droit. L’article 14 arroge au directeur général du ministère un pouvoir arbitraire et discrétionnaire sur les décisions prises sans aucune garantie scientifique ou administrative, ce qui en outre provoquera de nombreux contentieux. »

Un équilibre rompu

Pour Alberto Bonisoli, le texte adopté le 19 juin en conseil des ministres aidera à « une plus grande attention au territoire devant permettre l’élimination des doublons pour optimiser et rationaliser les dépenses». Ses détracteurs mettent en exergue la remise en cause de l’équilibre sur lequel repose le Mibac. D’un côté, les surintendances avec leurs missions techniques au niveau local, de l’autre, les directions générales à Rome traitant de questions plus politiques.

La réforme Bonisoli renforce le poids de Gino Famiglietti, le véritable homme fort du ministère et le plus farouche opposant à la réforme Franceschini, à la tête de la direction générale de l’Archéologie, des Beaux-Arts et des Paysages. Mais c’est surtout le pouvoir du secrétaire général Giovanni Panebianco, homme de confiance d’un hiérarque du M5S, qui croît considérablement. Le bras droit du ministre était jusqu’ici une figure essentiellement administrative. Il s’octroie désormais des prérogatives de nature technique, notamment dans le cadre de la numérisation du patrimoine culturel, de la communication institutionnelle et des prêts d’œuvres à l’étranger, mais pourra également devenir directeur d’un des musées autonomes en cas de vacance du poste jusqu’à la désignation d’un nouveau titulaire.

La centralisation accrue ne repose pas uniquement sur cette figure de « super-secrétaire général ». Les appels d’offres, les contrats et les concessions seront retirés aux surintendances et aux musées régionaux pour être regroupés au sein d’une nouvelle direction qui deviendra une entité contractante. Les conseils d’administration des musées autonomes seront supprimés et leurs bilans approuvés par le ministère. Certains perdront leur autonomie, ainsi la Galleria dell’Accademia de Florence, le parc archéologique de l’Appia Antica et le Musée national étrusque de la villa Giulia à Rome. Une annonce qui a suscité l’indignation du milieu académique. Dans une lettre adressée au ministre, l’archéologue et historien de l’art étrusque Mario Torelli qualifie d’« outrage national » le retrait de l’autonomie au Musée de la villa Giulia, lequel conserve la plus belle et importante collection d’art étrusque au monde.

« Le Mibac est épuisé par ces réformes qui ne sont motivées par aucun projet économico-culturel d’envergure, estime l’un de ses fonctionnaires souhaitant conserver l’anonymat. Il n’a pas le temps de mettre en œuvre la précédente qu’on lui en annonce une nouvelle. Il faudrait le reconstruire, pas le réformer. Le déséquilibre entre une administration centrale au personnel pléthorique et des surintendances en manque criant de moyens humains mais aussi informatiques va encore plus se creuser. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : Une réforme du ministère de la Culture provoque un tollé en Italie

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