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Le syndicalisme s’invite dans les musées américains

ÉTATS-UNIS

Alors que le taux de syndicalisation atteint son plus bas niveau historique aux États-Unis, les créations de sections syndicales se multiplient dans les musées.

Le Whitney Museum of American Art à New York © Photo Clotilde Bednarek / Le Journal des Arts 2019
Le Whitney Museum of American Art à New York
© Photo Clotilde Bednarek / Le Journal des Arts 2019

New York. Le mouvement de syndicalisation dans les musées américains prend de d’ampleur. Au Whitney Museum of American Art de New York, près de 190 conservateurs, restaurateurs, médiateurs, éditeurs, agents d’accueil, régisseurs et manutentionnaires ont annoncé, le 17 mai, leur intention de créer leur section syndicale. Quelques semaines plus tôt, une vingtaine de salariés du Hispanic Society Museum & Library, qui en compte 27 au total, formulaient le même souhait.

Dans les deux institutions, les travailleurs pétitionnent pour rejoindre la division « Local 2110 » de United Auto Workers (UAW), le syndicat historique des ouvriers de l’automobile. Cette branche, créée à New York par des salariés de l’université Columbia à la fin des années 1980, s’est spécialisée dans les négociations du secteur culturel et éducatif. Depuis quelques années, des employés de musées sont venus en masse grossir ses rangs : « La raison, explique Maida Rosenstein, présidente et fondatrice de « Local 2110 UAW », est que ces institutions sont dirigées par des conseils d’administration où siègent des gens très riches, venus du monde des affaires, et des directeurs qui touchent des salaires mirobolants, alors que les travailleurs sont totalement laissés pour compte. Même à temps plein, certains touchent une misère. »

Le syndicalisme américain est bien différent de son équivalent français. Ainsi, aux États-Unis, il n’y a pas de pluralisme syndical sur le lieu de travail : une fois la section créée et accréditée officiellement par le bureau fédéral compétent, elle a autorité pour représenter l’ensemble des salariés. L’employeur ne peut dès lors négocier qu’avec elle.

« Notre mouvement n’est pas isolé », commente Karissa Francis, qui travaille au service de l’accueil des publics du Whitney Museum depuis quatre ans, « les luttes menées dans d’autres institutions nous inspirent ». Depuis 2018, les créations de sections syndicales se multiplient, la plupart sous les auspices de « Local 2110 UAW » : au New Museum et au Guggenheim de New York, au Musée d’art contemporain de Los Angeles (MOCA), ou plus récemment au Philadelphia Museum of Art et au Museum of Fine Arts de Boston, entre autres. Des processus similaires ont commencé ces derniers mois à Milwaukee, à Pittsburgh ou encore à Portland.

L’United Auto Workers regagne des adhérents

C’est une révolution dans un secteur qui était jusque-là relativement peu syndiqué. Maida Rosenstein attribue ce changement à l’arrivée d’une nouvelle génération plus diverse, entrée sur le marché du travail à l’issue de la récession de 2008, avec un pouvoir d’achat plus restreint que celles qui l’ont précédée : « Ils sortent de l’université avec des montagnes de dettes, vivent dans des villes aux loyers incroyablement élevés et travaillent pour des salaires très bas. » Au cours de l’année écoulée, les nombreux licenciements et mises en congé sans solde dans les musées ont aussi marqué les esprits.

Ces mouvements sont une opportunité pour les syndicats historiques, alors qu’à travers les États-Unis le syndicalisme est en chute libre : seuls 10,3 % des travailleurs sont aujourd’hui syndiqués, contre près de 30 % en 1960. UAW, qui a beaucoup pâti de la crise de l’industrie automobile, mise particulièrement sur les travailleurs du secteur culturel et éducatif pour élargir sa base et trouver un second souffle. Les chiffres lui donnent raison depuis 2018, les affiliations à UAW sont en constante augmentation.

Cette entrée du syndicalisme au musée ne va cependant pas sans résistances. À l’été 2019, le directeur du Guggenheim, Richard Armstrong, annonçait dans un e-mail ne pas vouloir « travailler avec une tierce partie qui n’a qu’une expérience très limitée du secteur muséal ». En novembre de la même année, un représentant du MOCA, dans un communiqué, disait ne pas croire « que ce syndicat-ci soit le mieux à même de défendre les intérêts des employés du musée ». Interrogé, le Whitney Museum affirme aujourd’hui « respecter la volonté des salariés ». Le Hispanic Society Museum n’a pas souhaité faire de commentaire.
 

ADDENDA - 1er juin 2021

Le 25 mai 2021, 130 employés du Brooklyn Museum ont annoncé vouloir rejoindre le mouvement et pétitionner pour la création de leur propre section syndicale. Comme leurs collègues du Whitney Museum, de la Hispanic Society, du MoMA, du New Museum et du Guggenheim, ils ont exprimé le souhait de rejoindre la division « Local 2110 » de United Auto Workers. Au Brooklyn Museum, 29 employés avaient été licenciés au début de la crise et de nombreux autres mis en congé sans solde. « La pandémie a sensibilisé les travailleurs des musées à leur vulnérabilité et à la précarité de leur situation », explique Maida Rosenstein, présidente de Local 2110, « Ils veulent une meilleure protection sociale : sans syndicat, rien ne les protège ». Dans un communiqué, le musée a affirmé « respecter le droit des salariés de considérer et d'explorer les possibilités de représentation syndicale » et se dit prêt à « coopérer ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°568 du 28 mai 2021, avec le titre suivant : Le syndicalisme s’invite dans les musées américains Alors que le taux de syndicalisation atteint son plus bas niveau historique aux États-Unis, les créations de sections syndicales se multiplient dans les musées

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