États-Unis - Musée

Guillaume Kientz prend ses marques à l’Hispanic Society de New York

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

Le nouveau directeur français doit composer avec une situation très tendue pour les musées américains confrontés aux enjeux de diversité.

Guillaume Kientz. © Robert LaPrelle
Guillaume Kientz.
© Robert LaPrelle

New York. Guillaume Kientz est arrivé il y a un mois à la tête de la Hispanic Society Museum & Library, musée new-yorkais méconnu consacré à l’art des mondes hispanophones et lusophones. Passé par le Louvre et le Kimbell Art Museum de Fort Worth, au Texas, cet Alsacien d’à peine 40 ans a pris les rênes d’une institution fermée pour rénovation depuis 2017, alors que les musées américains reçoivent de nombreuses critiques dans un climat de grandes tensions sociales autour des questions d’inégalités raciales.

L’annonce même de sa nomination en décembre dernier avait fait réagir certains milieux activistes new-yorkais. Des associations telles que Decolonize This Place, récemment engagée dans le mouvement « Strike MoMA », ou le compte Instagram @ChangeTheMuseum se sont fait l’écho d’attaques et de suspicions portant sur l’identité du nouveau directeur. Certains militants reprochent le choix de cet Européen blanc, spécialiste notamment de Velázquez et du Greco pour diriger une institution installée en plein cœur de Washington Heights, quartier du nord de Manhattan où vit une grande communauté hispanique : « C’est stupide, réagit Galvis Sanchez, archéologue et habitant du quartier. Pourquoi ne pas engager un Caribéen qualifié à ce poste ? » D’autres y voient un nouveau signe de « domination blanche » alors que le mouvement antiraciste Black Lives Matter a pris, depuis le décès de George Floyd en mai dernier, une ampleur sans précédent dans le pays.

S’il regrette les phénomènes de « pilorisation » et « les attaques “ad hominem” », Guillaume Kientz comprend ce discours : « Je suis à l’aise avec ça parce que nous sommes dans un moment d’hypersensibilité. La société est blessée. Les musées doivent faire énormément pour réparer le monde. Ce qui me semble extrêmement positif, c’est que ces critiques expriment des attentes qui ne sont pas entendues : toute une société qui souhaite que le musée serve à quelque chose et rende des comptes. » Il ajoute : « Les musées ne sont pas là pour se plaindre. Ils doivent changer leur culture, apprendre à se taire et à écouter. La discussion viendra plus tard et naturellement. »

Servir la communauté

Fondée en 1904 par le philanthrope Archer M. Huntington, la Hispanic Society revendique la plus grande collection d’art et de littérature espagnols en dehors d’Espagne. Le fonds qui rassemble près d’un million de livres et d’objets raconte aussi les cultures de nombreux pays hispanophones et lusophones d’Amérique et d’Asie. Guillaume Kientz affiche aujourd’hui une triple ambition pour son musée : « En faire une institution culturelle de proximité, au service de la communauté locale ; présenter dans notre second bâtiment la collection de manière problématisée, pour accueillir une multiplicité de points de vue et faire lien avec les enjeux d’aujourd’hui ; et enfin faire de la Hispanic Society une institution de référence à l’échelle internationale. »

À l’heure où les relations entre les musées américains et leurs communautés sont au cœur des débats, Guillaume Kientz veut encourager la création d’un « conseil local, qui serait partie prenante des orientations du musée » et accompagner « un programme de résidence d’artistes » lancée par une association du quartier. À travers ces initiatives, il souhaite « créer un espace de discussion » : « On ne peut pas réformer le musée, ou même faire notre travail, si l’on reste entre nous. Il faut en finir avec le musée comme forteresse, à la fois symbolique et architecturale. »

De manière très concrète, il souhaite voir enlever la grille qui barre l’accès aux grandes terrasses de la Hispanic Society, « pour transformer cet espace en un vrai lieu public ». Il veut aussi préparer l’avenir : « Je suis le premier à regretter le manque de diversité parmi les profils que l’on peut recruter. L’un des grands engagements que je prends, c’est de faire émerger une nouvelle génération de professionnels des musées qui soit plus équitable. Ma responsabilité, c’est que le prochain directeur de la Hispanic Society puisse être choisi parmi un ensemble de parcours et d’idées plus divers. »

Le nouveau directeur a nourri une partie de ces idées à l’occasion de « Musées Debout », atelier de réflexion qu’il a lancé à titre personnel en 2016 dans le cadre des manifestations « Nuit Debout », alors qu’il était conservateur au Louvre : « Ce que je trouve intéressant aux États-Unis, c’est qu’il n’y a pas besoin qu’un conservateur sorte de son bureau pour qu’on parle du futur des musées dans la sphère publique ! »

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°566 du 30 avril 2021, avec le titre suivant : Guillaume Kientz prend ses marques à l’Hispanic Society de New York

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque