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Les employés du New Museum tentent de se syndiquer

NEW YORK / ETATS-UNIS

Le musée new-yorkais a déclenché une polémique dans les milieux culturels après avoir sollicité un cabinet spécialisé en relations du travail afin d’empêcher la constitution d’un syndicat parmi leurs employés.

New York. Souriants, une trentaine d’employés du New Museum posent dans le hall de l’établissement. Ce vendredi 11 janvier, ils investissent le musée new-yorkais avec un message inscrit en lettres blanches sur leurs t-shirts identiques : « We deserve a fair contract » (« Nous méritons un contrat juste »). Depuis la veille, jeudi 10 janvier, le mot est lâché : les salariés du New Museum comptent s’organiser en syndicat.

« Tout a commencé par des conversations que l’on avait entre employés sur les changements que l’on aimerait voir au musée », se rémémore Dana Kopel, membre de l’équipe organisatrice, à l’œuvre depuis l’été 2018 pour organiser la création du New Museum Union avec l’aide d’UAW Local 2110, l’union syndicale qui représente de nombreuses institutions culturelles à New York, dont le célèbre Museum of Modern Art (MoMA). « Ces discussions se sont intensifiées et l’idée de former un syndicat en est finalement sorti », poursuit la porte-parole qui a rejoint le musée il y a près de deux ans et demi. « C’est très difficile de vivre à New York avec les salaires versés dans le secteur culturel. Le syndicat nous permettra de faire valoir nos droits », ajoute Alicia Graziano, elle aussi investie dans la formation du syndicat. « Nous espérons créer un mouvement qui inspirera d’autres institutions », précise-t-elle.

Un cabinet « anti-syndicat »

L’initiative n’est cependant pas du goût du New Museum qui, peu après avoir eu vent de ces activités, a décidé d’embaucher le cabinet de consultants Adams Nash Haskell & Sheridan (ANHS), spécialisé dans les « services anti-syndicats ». L’entreprise basée dans le Kentucky propose notamment un « quizz de vulnérabilité » sur son site, adressé aux employeurs inquiets. « Quand les employés commencent à s’organiser, la peur s’abat au cœur de n’importe quelle organisation », avancent les « experts en prévention syndicale ». Contactés par Le Journal des Arts, les consultants sont restés silencieux. « L’entreprise anti-syndicats a organisé deux réunions, une avec les chefs de service et une autre avec les superviseurs », raconte Dana Kopel. « Dans cette dernière, le musée a catégorisé onze personnes comme superviseurs, dont moi, pour nous écarter des activités syndicales, alors que nous n’entrons pas dans la définition légale d’un superviseur », dénonce la coordinatrice de la publication du musée. « Le représentant du cabinet a déployé une présentation entière sur les raisons pour lesquelles il faut éviter de former un syndicat », poursuit-elle.

Vague de soutiens

Rapidement, l’annonce a fait bondir les cercles artistiques new-yorkais. Vendredi 18 janvier, près de 75 artistes, professeurs et autres conservateurs ont signé une lettre ouverte parue sur le site Art Forum. « Nous sommes troublés par la décision de la direction du New Museum de faire appel à une entreprise anti-syndicats pour semer la peur, l’hostilité et désinformer l’équipe managériale comme le personnel sur le rôle des syndicats », s’indignent les professionnels. Claire Bishop, professeure d’histoire de l’art à l’École doctorale de l’université de la ville de New York, n’a pas hésité à s’ajouter aux signataires. « Je pense que nous sommes à un moment de grand bouleversement et de décalage entre la programmation apparente des musées, en termes de discussions, de débats et d’expositions, et leurs politiques internes, à travers par exemple les investissements contestables des trustees ou par le traitement de leurs employés », observe l’universitaire, avant de citer le cas de sa compagne, en litige avec le MoMA-PS1 (l’antenne du musée d’art située dans le Queens) qui lui aurait promis une offre d’emploi et se serait rétracté après avoir appris qu’elle venait d’accoucher. « Nous arrivons à un moment sous la présidence Trump, où un tel décalage ne peut plus être toléré », assène-t-elle.

Face à cette levée de boucliers largement relayée par la presse américaine spécialisée, le musée a répliqué dans une déclaration envoyée aux journalistes. « Lorsque nous avons appris qu’un groupe de salariés a lancé une pétition pour former un syndicat, nous avons engagé plusieurs consultants, dont ANHS, pour procéder à une évaluation préliminaire et pour nous aider à travailler avec nos employés qui ont des points de vue différents sur le sujet. Ce contrat est terminé », s’est défendue l’institution, avant de souligner : « Nous respectons le droit de nos employés à s’organiser et nous respecterons leur décision. »

Cette attitude visant à dissuader la formation de syndicats est pourtant courante aux États-Unis, analyse Jake Rosenfeld, sociologue spécialiste du droit du travail à l’université de Princeton et auteur du livre What Unions No Longer Do (Harvard University Press, 2014). « Aux États-Unis aujourd’hui, si un employeur veut se débarrasser d’un syndicat dans sa structure, il a tous les outils à sa disposition », explique l’expert. « Nous avons un système unique qui s’organise de lieu de travail en lieu de travail. Si vous voulez attaquer McDonald’s ou Walmart, vous n’allez pas vous asseoir autour d’une table et négocier directement avec leurs PDG, vous allez devoir vous organiser dans votre petit établissement local. La bataille est donc disproportionnée parce que Walmart et McDonald’s vont mettre toutes leurs ressources à disposition pour empêcher votre petite organisation de naître », illustre-t-il.

Il constate toutefois un intérêt croissant du public pour les organisations syndicales ces cinq dernières années, notamment venant des plus jeunes générations, malgré un déclin des adhésions. Dana Kopel du New Museum Union fait le même constat dans les milieux culturels. « Beaucoup d’institutions se sont syndiquées ces deux dernières années. J’ai l’impression que c’est peut-être le début d’un changement clé et c’est extraordinaire de faire partie de ce mouvement », s’enthousiasme-t-elle.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°516 du 1 février 2019, avec le titre suivant : Les employés du New Museum tentent de se syndiquer

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