Politique

Jack Lang : « Nombre d’artistes arabes ne tiennent pas à mettre leur "arabité" au premier plan »

Par Olympe Lemut · lejournaldesarts.fr

Le 30 juin 2017 - 1423 mots

PARIS

PARIS [30.06.17] – L’ancien ministre de la Culture et actuel président de l’Institut du monde arabe explique le rôle de l’IMA dans le soutien à la scène arabe et plus largement les relations entre la France et cette scène.

Il n’y a pas en France de Biennale ou de festival consacré à la création artistique du monde arabe, comment l’expliquez-vous ? Par exemple un événement d’envergure nationale, où l’IMA ne serait pas seul et travaillerait en collaboration avec de grandes institutions, au-delà de la Biennale des photographes du monde arabe.
L’idée de Biennale de la création artistique du monde arabe est régulièrement avancée. Ce peut être une bonne idée. Elle se heurte toutefois à l’idée que la création artistique contemporaine est de plus en plus transfrontières et que nombre d’artistes arabes ne tiennent pas à mettre leur « arabité » au premier plan. Il en va de même d’artistes français ou de toutes nationalités qui se vivent aujourd’hui comme internationaux. La plupart des biennales ou des foires de l’art sont internationales. C’est une donnée de la situation avec laquelle il faut jouer. L’IMA ne veut ni ne peut imposer l’idée d’une telle manifestation qui pourrait paraître comme trop réductrice. Certes nous avons créé la Biennale des photographes du monde arabe contemporain. Nous avons ainsi voulu rendre compte de la richesse de la création des artistes d’origine arabe dans le domaine de la photographie. Mais nous avons tenu à ce que cette manifestation ne se limite pas à eux et comporte aussi des photographes occidentaux ou simplement étrangers au monde arabe, et qui traitent de sujets évoquant le monde arabe. Il faut éviter toute politique d’enfermement des artistes arabes dans un nationalisme qui n’a plus cours dans le monde de l’art.

Certains artistes arabes ont l’impression qu’ils rencontrent en France plus de blocages que d’autres artistes, africains ou chinois… Avez-vous été témoin dans les institutions culturelles de tels blocages envers des artistes du monde arabe ?
Je ne suis pas informé de blocages dont des artistes arabes feraient l’objet en France. Ils sont bienvenus comme tous les autres artistes venus d’ailleurs. Je sais que la Cité internationale des arts, par exemple, reçoit chaque année un contingent d’artistes issus de pays arabes. Ils sont souvent présents dans les expositions du Centre Pompidou ou d’autres grandes institutions.

Comprenez-vous que certains artistes arabes jugent l’IMA trop « politique », en raison de la tutelle du Quai d’Orsay et des relations de l’IMA avec la Ligue arabe ? Le terme « arabe » lui-même semble poser problème aux artistes concernés.
Je ne vois pas en quoi l’IMA pourrait être jugé « politique ». C’est une fondation totalement indépendante sur ses contenus et paritaire dans la prise de ses décisions au sein du Conseil d’administration aussi bien que dans le Haut conseil. La Ligue arabe n’intervient pas dans la gestion de l’IMA : elle sert seulement de référence pour définir le nombre et l’identité des pays arabes qui entrent dans les organes de décision de l’IMA. Quant au Quai d’Orsay, il nous apporte une subvention absolument nécessaire précisément pour assoir notre indépendance. Beaucoup des artistes et intellectuels qui sont accueillis par l’IMA sont fiers de l’être. Ils sont de plus en plus nombreux. L’IMA est un espace de liberté et de confrontation pacifique des idées. Sa mission est universelle, au point que nous traitons aussi bien de l’Afrique, que des relations entre l’Europe et le monde arabe […].

Pourquoi selon vous l’histoire de l’art du monde arabe n’est-elle quasiment pas enseignée dans les universités françaises ? N’y a-t-il pas ici un enjeu culturel et politique, par exemple en raison de l’Orientalisme et du passé colonial français ?
Je ne crois pas qu’on puisse écrire que l’histoire du monde arabe ne soit « quasiment pas enseignée dans les universités françaises ». C’est un jugement excessif. Il existe des professeurs renommés et les enseignements s’élargissent à d’autres écoles comme les instituts d’études politiques notamment celui de Paris. L’Orientalisme n’est plus guère à la mode et le passé colonial de la France est révolu. Les rencontres et débats qui se tiennent à l’IMA démontrent au contraire une amplification et une passion des étudiants et des intellectuels pour la pensée arabe à la fois la plus ancienne et la plus contemporaine. C’est une des missions de l’IMA de contribuer à favoriser des échanges dans ces termes de manière à mieux faire connaître la réalité du monde arabe, souvent déformée par les excès de radicalisme minoritaires et par les interprétations tendancieuses qui en sont faites. L’IMA est même devenu l’institution de référence pour l’enseignement de la langue arabe. Au point que la certification de cet enseignement dans le monde va être assurée par nous.

Si ce sont les pays du Golfe qui font l’histoire de l’art du monde arabe à leur manière, n’est-ce pas un risque ? Par exemple les questions de censure, ou la vision qu’ont certains pays du Golfe de l’art comme agent d’influence à l’international ?
Il y a beaucoup de jugement a priori sur la situation de la création artistique dans les pays du Golfe. J’observe de très fortes évolutions dans ce domaine en termes de liberté et d’audace de création. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai décidé d’organiser une exposition consacrée à la plus récente création des artistes d’Arabie saoudite. On y découvrira des révélations qui étonneront nombre de critiques d’art. Notre sélection appuyée sur les meilleurs experts actuels, et en toute liberté, sera indépendante de toute pression financière. Avant de jeter la pierre aux pays du Golfe, ne devrions-nous pas regarder nous-même ce qui se passe en Europe et dans les pays occidentaux ? […] La presse ne devrait-elle pas en rendre compte avant de s’attaquer aux oligarchies du Golfe ? Personne n’a de leçon à donner à personne dans ce domaine.

Pensez-vous que les médias français jouent bien leur rôle lorsqu’il s’agit des artistes arabes ; n’ont-ils pas tendance à simplifier, à ramener les œuvres à des thématiques d’actualité (débat sur l’islam, question géopolitiques, migrants) ?
Les médias français jouent leur rôle en général avec probité et notamment en mettant en lumière les nombreuses expositions de l’IMA où s’exprime la diversité créative des artistes du monde arabe. Quelles que soient les thématiques abordées, nous avons à cœur de toujours faire participer des artistes contemporains. L’exposition sur le Maroc contemporain a largement montré la pluralité de ces regards d’artistes, du traditionnel Farid Belkahia jusqu’au collectif d’art numérique Pixylone. Il en était de même lors de l’exposition La Palestine à l’IMA en 2016 avec des vidéastes comme Khaled Jarrar et Larissa Sansour, sur des sujets plus politiques. Mais également dans des expositions aux thèmes plus difficiles, comme celle sur le Hajj, le pèlerinage à La Mecque, avec les artistes Nasser Al Salem, Kader Attia ou Ahmed Mater, et à présent dans Trésors de l’islam en Afrique et les œuvres d’Hassan Hajjaj, Aida Muluneh ou Moataz Nasr. […]. Œuvres anciennes et contemporaines se côtoient afin de mettre en perspective les sujets traités et les ouvrir sur des préoccupations d’aujourd’hui. Et pour son exposition autour du Hip hop en 2015, l’IMA a notamment fait intervenir directement dans ses salles les street artistes Yazan Halwani et Meen One pour créer des œuvres originales […]. Enfin, la 2e Biennale des photographes du monde arabe contemporain que l’IMA ouvrira en septembre prochain dévoilera aussi une multitude de regards d’artistes sur ces sociétés en pleine évolution.

Quelles sont plus largement les missions de l’IMA concernant les arts plastiques du monde arabe ?
L’IMA n’a pas de missions statutaires dans le domaine des arts plastiques. Mais, de fait, et bien naturellement, il intervient largement dans ce domaine. Il est détenteur d’une collection qui s’accroit par acquisitions et donations, avec plusieurs centaines d’œuvres à ce jour, d’art ancien, moderne et contemporain. Certaines de ces œuvres sont prêtées, d’autres sont exposées dans notre musée mais aussi à l’IMA Tourcoing. Il organise également des expositions d’art ancien, moderne et contemporain afin de mieux diffuser et faire connaitre, en France, ces réalisations artistiques et plus largement les cultures du monde arabe. Il a pris l’initiative, voici deux ans, de lancer un prix d’art contemporain décerné par la Société des Amis, avec le soutien de mécènes. Ce prix permet de faire émerger de nouveaux talents et de valoriser une œuvre, produite à l’occasion d’une exposition et ensuite intégrée dans la collection permanente de l’IMA. C’est un rôle sans précédent qui est joué par l’IMA dans la diffusion de cette culture arabe. Il n’y a pas d’institution similaire dans le monde.

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Jack Lang, président de l'Institut du monde arabe © photo IMA

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