Collections des banques et des entreprises

France : un mariage rare

Une enquête internationale

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1995 - 839 mots

Si les entreprises sont nombreuses dans le monde à soutenir les arts plastiques, comme l’a montré l’enquête publiée dans notre numéro de décembre, elles sont beaucoup plus rares à constituer des collections. Dans la majorité des pays, les collections d’art sont le fait des banques.

PARIS - En France, les collections d’entreprise sont peu nombreuses : vingt-cinq, dont six constituées par des banques et des établissements financiers, ont été recensées par l’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial). Cette association évalue à sept cent cinquante le nombre d’entreprises "mécènes" dans notre pays. Le décalage est donc d’importance. Ce recensement porte sur les entreprises qui se font connaître, qui revendiquent le caractère de collection pour les œuvres qu’elles détiennent et qui les portent directement ou indirectement à la connaissance du public ou de leur personnel.

L’implication des entreprises dans le mécénat humanitaire et les effets de la crise semblent réduire encore la pratique des collections. La décision la plus spectaculaire prise cette année a été celle de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), un des premiers mécènes français, qui a décidé de figer sa collection, de fermer sa galerie d’exposition, et qui a confié "pour au moins dix ans" ses œuvres au Musée d’art moderne de Saint-Étienne. À travers un petit nombre de collections seulement, il est difficile d’identifier des comportements typiques qui caractériseraient des collections d’entreprise "à la française". Il est possible de relever quelques traits dominants. Les collections d’art qui sont montrées ou exposées sont presque toutes dédiées à l’art contemporain. Ainsi, Paribas ou la BNP – 340 œuvres – exposent dans leurs bureaux et leurs succursales, en France et à l’étranger, leurs richesses respectives.

À travers ce soutien aux artistes d’aujourd’hui, les entreprises désirent donner d’elles-mêmes une image jeune ou créative, tant au public qu’à leur personnel.

Quelques collections à caractère patrimonial cherchent à reconstituer la mémoire d’une entreprise ou d’une industrie, y compris par l’acquisition de créations contemporaines qui l’évoquent. Citons pour exemple l’Aérospatiale (Olivier O. Olivier, Peter Klasen, Ségéral, Alquin, Jean Solombre, avec des sujets évoquant l’aéronautique), Bénédictine (avec des collections d’instruments de distillerie de liqueur).

Les choix se portent sur des œuvres de prix assez peu élevé ; rares sont les œuvres achetées dépassant 50 000 F, comme pour les collections BNP et Paribas. Corréla­tivement, les budgets annuels globaux consacrés aux achats d’œuvres sont modestes, le plus souvent dans des fourchettes de 100 à 500 000 F par an.

La composition des collections ne semble pas généralement répondre à des partis pris esthétiques ou à des formes de créations précises. Il y a cependant des exceptions, comme par exemple la collection de la BNP qui s’est orientée sur la peinture abstraite gestuelle de la deuxième génération : Christian Bonnefoy, Laneau, Tony Soulier.... L’orientation est plutôt liée à des périodes. Par exemple, Cartier présente le parcours de l’art de 1960 à nos jours  par des peintures, dessins, sculptures, photographies, vidéo, design, mobilier, soit au total 700 œuvres de deux cents artistes français et étrangers.

Elle peut marquer une création inspirée par les métiers ou les technologies de l’entreprise, comme Hewlett-Packard ou la Routière Colas, dont la fondation a aidé des peintres tels que Philippe Richard, Julio Villani, Nadja Mehadji, Olivier Agid, qui ont imaginé "la route d’aujourd’hui et de demain". Certaines collections comportent des œuvres de commande illustrant un produit ou une image de l’entreprise commanditaire, telles les collections Danone-Lu, "l’art et les biscuits", ou la Seita vouée à la représentation de "la Gitane".

Les entreprises n’ont pas généralement recours à des professionnels de l’art ou à des conseils extérieurs pour décider de leurs achats. Cependant, certaines achètent à des galeries (BNP), quelques-unes ont embauché des spécialistes, galeristes ou conservateurs, pour constituer et gérer leur collection. La galeriste Nathalie Gaillard conseille Coprim ; le conservateur de musée Pierre Provoyeur a été recruté par Elf Aquitaine, comme autrefois Marie-Claude Beaud par Cartier. Plusieurs entreprises s’appuient sur des comités artistiques ou des jurys (Danone, le courtier d’assurance Gras-Savoye).

Pour la plupart des entreprises, les collections ne sont qu’une des composantes de leurs actions de mécénat ou de parrainage. C’est le cas de très grandes institutions financières ou industrielles contrôlées par l’État, comme EDF ou la Caisse des dépôts et consignations. Par exemple, la CDC n’a consacré en 1993 que 12 % de son budget de mécénat aux arts plastiques.

Il est très rare que la constitution de collections soit liée à des actions de parrainage de grandes expositions ou à l’aide à la création de musées. Le cas de la BNP, qui a cofinancé l’exposition de la collection Barnes, et celui de la banque Paribas, qui édite les catalogues de nombreux musées, petits et grands, sont des exceptions. En fait, les collections d’entreprise en France reflètent sans doute deux singularités nationales. Il existe peu de grandes collections privées dans notre pays, notamment à cause d’un dispositif fiscal peu encourageant. De plus, la tradition culturelle réserve la constitution de collections à l’État et à ses conservateurs, et accorde difficilement une légitimité aux collections privées.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°10 du 1 janvier 1995, avec le titre suivant : France : un mariage rare

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