À la tête des musées territoriaux, une nouvelle génération de directeurs se dessine : de jeunes profils souvent fraîchement diplômés, à peine la trentaine et très au fait des enjeux actuels qui traversent le milieu de la culture. Qu’il s’agisse ou non d’une première expérience professionnelle, le poste est formateur et s’accompagne de son lot de défis, tant sur le plan humain qu’administratif et financier.

France. « Lorsqu’on arrive en poste de direction, c’est tout un monde à appréhender. Ce n’est pas seulement la gestion d’une collection, mais aussi celle d’une équipe, d’un budget… », résume Manon Lecaplain, directrice des musées de la Ville de Poitiers depuis juillet 2023. Un premier poste de direction qu’elle a assumé, à 29 ans, au terme de son doctorat puis de sa formation à l’Institut national du patrimoine – Institut national des études territoriales (INP-INET). « J’étais très en phase avec les valeurs portées par la direction des musées de la Ville, et je voulais m’impliquer dans le développement d’une politique culturelle territoriale. Mais j’avais quand même hésité à candidater. On m’y a poussée, parce qu’il s’agit quand même d’un gros bateau ! »

Prendre les rênes des musées de Poitiers, c’est gérer le Musée Sainte-Croix – le plus grand musée de la Ville – mais aussi les collections du Musée Rupert-de-Chièvres (fermé depuis 2009) et le jardin public de l’hypogée des Dunes. Et donc encadrer, au total, 45 agents permanents. « Le management, c’est forcément un défi, surtout lorsqu’on a moins de 30 ans et qu’on est une femme, reconnaît-elle. Au début, on éprouve un sentiment d’imposteur, d’illégitimité aussi, qui reste toujours un peu même après deux ans d’ailleurs. Il faut alors se mettre dans une posture d’humilité et d’écoute. »
Pour Rémi de Raphélis, la clé réside avant tout dans l’assurance. « Quand on doit manager des personnes qui peuvent avoir l’âge de vos parents, il faut savoir peser », constate le nouveau directeur des musées de Boulogne-Billancourt, en poste depuis janvier. Après avoir passé le concours de l’INP à 30 ans, en menant une thèse en parallèle, il a pris la tête de ces trois musées consacrés aux sculpteurs Paul Landowski, Paul Belmondo et aux années 30. « Au-delà de la formation, il faut se sentir prêt à diriger une équipe de 22 personnes. » Car si des cours de management sont dispensés, la théorie ne prépare que dans une certaine mesure à la réalité du terrain.

Si ces jeunes conservateurs, concours tout juste en poche, se retrouvent à haut poste de responsabilité, c’est aussi lié à la réalité du recrutement. « En sortant de notre formation à l’INP, on a plus de chance d’accéder à une direction qu’à un poste de chargé de collection. Sur ma promotion de 17 élèves, 12 ont une responsabilité de directeur », précise Rémi de Raphélis. « Au départ, je cherchais plutôt un poste d’adjoint ou de chargé de collection. Mais les offres d’emploi concernaient surtout des directions. Et beaucoup de postes compliqués, avec des musées fermés, des travaux en cours », corrobore Fanny Girard qui, en 2022, jette finalement son dévolu sur le Musée Toulouse-Lautrec à Albi. À 27 ans, elle prend les rênes de cette institution dédiée à l’œuvre du peintre albigeois, sise dans un ancien palais épiscopal très fréquenté en Occitanie avec près de 175 000 visiteurs par an. « Ce qui m’a alors beaucoup marquée, c’est le respect du statut et de la fonction de conservateur par les agents. Au début, on m’appelait “Madame la conservateur en chef”. J’ai dû préciser qu’on pouvait m’appeler par mon prénom ! »
Même passée cette prise de poste, la gestion du personnel reste un défi constant. Encadrer une équipe, c’est devoir coordonner, superviser des postes très variés, savoir faire face à d’éventuels litiges et mécontentements. Un exercice auquel Robert Blaizeau est rompu, mais qui n’en demeure pas moins un enjeu au quotidien. Lorsqu’il prend, à 32 ans, la direction des 11 musées de la métropole Rouen Normandie, un an après le départ de Sylvain Amic pour le cabinet de Rima Abdul-Malak (alors ministre de la Culture) en 2022, c’est en conservateur expérimenté. À seulement 24 ans, il avait pris les commandes des musées de Saint-Lô (Manche) qu’il dirige pendant cinq ans, avant d’intégrer les services de la Ville de Rouen en tant que directeur général adjoint. « Cette expérience m’a confronté à des situations difficiles sur le plan humain. Elle m’a préparé au management des équipes. » Et à la tête des musées rouennais, l’enjeu est de taille. « Avec les grands travaux que nous menons, il y a évidemment des questions d’évolution des postes, de relocalisation des agents sur un autre site…, explique-t-il. Mais le principal défi dans les musées de la métropole, c’est de travailler à leurs réhabilitations, et j’insiste sur le pluriel ! Il ne faut pas se limiter au projet Beauvoisine [la fusion du Museum et du Musée des Antiquités, chiffrée à 70 millions d’euros, ndlr.]. Nous avons un parc muséal très hétérogène, avec des musées répartis sur cinq communes. Certains construits il y a quinze ans, d’autres qui n’ont pas été rénovés depuis soixante-dix ans. »
Gérer plusieurs sites, chacun avec ses spécificités et besoins propres, soulève des problématiques spécifiques. Un défi auquel est aussi confronté, dans une autre mesure, Benjamin Foudral, le directeur du pôle Courbet à Ornans (Doubs) qui regroupe le musée consacré à l’artiste, mais aussi son atelier et sa ferme familiale (disséminés sur plusieurs kilomètres). C’est en terrain connu qu’il arrive sur le site en 2020, à 29 ans, alors que se prépare le chantier de restauration de l’atelier. Docteur, spécialiste de la peinture de la fin du XIXe siècle, il n’est pas conservateur, mais avait déjà assuré le commissariat d’une exposition au musée. Une passation qui s’est donc faite assez naturellement. « Ma difficulté première, c’était plutôt la répartition des équipes sur plusieurs sites, réussir à créer une synergie, affirme-t-il. Le musée reste le vaisseau amiral, mais l’enjeu, c’est vraiment de renforcer l’idée d’un circuit entre les différents sites. »
Un musée de région comporte des enjeux liés à l’attractivité du territoire, nécessitant de mener une réflexion de concert avec les collectivités locales. Pour un directeur, faire coïncider son propre projet pour l’institution tout en répondant aux enjeux politiques des élus peut alors s’avérer ardu. « Ce qui était très nouveau pour moi, c’était la découverte du fonctionnement de la collectivité », atteste Jean-Baptiste Delorme, directeur du château de Rochechouart (Haute-Vienne) depuis octobre dernier. Âgé de 32 ans, le commissaire d’art contemporain est certes un habitué des institutions, mais beaucoup moins à l’échelle territoriale. Conservateur au Musée national Marc Chagall (Nice) pendant un an, au Centre national des arts plastiques (CNAP) pendant trois ans, puis au Musée d’art moderne de Paris, il arrive à Rochechouart, séduit par la liberté de programmation qu’offre le lieu et conscient que le musée est bien souvent un tremplin vers de plus grandes institutions pour ses directeurs (comme Annabelle Ténèze désormais à la tête du Louvre-Lens ou Sébastien Faucon au LaM de Villeneuve-d’Ascq). Seul musée d’art contemporain public en milieu rural, il est en régie directe du Département. « C’est complètement différent de ce que j’ai pu expérimenter avant. Les directeurs et directrices, avec qui je travaillais, étaient des conservateurs du patrimoine, nous parlions le même langage. Ici, il y a toute une direction de la culture au-dessus de moi qui ne vient pas du même univers, qui n’a pas toujours les mêmes problématiques. Il y a donc de la pédagogie à faire des deux côtés, pour parvenir à se comprendre. »

« Être en permanence en lien avec sa tutelle, cela fait partie de l’essence même du métier de directeur de musée », ajoute Barthélémy Etchegoyen-Glama (32 ans), le nouveau directeur du Musée Bonnat-Helleu à Bayonne depuis février. Et c’est bien tout l’enjeu politique du musée qui passionne ce grand habitué des discours, à l’aise dans la sphère administrative comme muséale. Chargé de missions au ministère des Armées, consultant à l’Ambassade de France aux États-Unis, correspondant du Journal des Arts à New York, puis conseiller de Laurence des Cars au Louvre, il arrive à Bayonne à un moment-clé. Projet-phare de la municipalité, la réouverture du musée se profile à l’automne, après 28 millions d’euros de travaux et près de quinze ans d’attente. « La partie la plus acrobatique, c’est toujours de prendre un projet en cours, même si je suivais celui-ci depuis longtemps déjà [dans le cadre du partenariat du musée avec le Louvre, nldr.], rappelle-t-il. J’avais déjà travaillé avec le maire, les élus et l’équipe municipale… Alors forcément, le dialogue est plus facile et intéressant. »
Parmi les missions du directeur, cet échange avec les élus est un point central. Et ce, d’autant plus au vu du contexte tendu des finances publiques, qui nécessite de savoir défendre son budget. « Dans un moment de difficulté budgétaire, il faut pouvoir être en mesure d’apporter tous les éléments de compréhension, d’éclairage à nos tutelles », pointe Jean-Roch Dumont Saint Priest, conservateur nommé à la tête du Musée d’art moderne de Céret (Pyrénées-Orientales) en 2023, à 29 ans, après trois ans comme chargé de mission au Centre des monuments nationaux (CMN). Une bonne école pour comprendre les politiques culturelles et pour gérer un musée au statut d’établissement public de coopération culturelle (EPCC). Pour Aurélien Arnaud, directeur du Musée des pêcheries de Fécamp (Seine-Maritime) depuis 2023 (après sa formation à l’INP-INET), le manque de fonds est aussi une contrainte permanente. « Les défis à relever sont nombreux, et l’un des principaux concerne la gestion du bâtiment qui, à l’origine, était une usine de transformation de poisson. C’est un bâtiment qui souffre, par endroits, de l’usure du temps », souligne-t-il. Pour tout directeur, l’adaptabilité est dès lors de mise : il faut trouver un équilibre entre garder une forme d’ambition, tout en restant conscient de la réalité du terrain.
Ce qui prime en somme, c’est donc l’exigence d’être flexible, polyvalent. « Il faut maîtriser l’histoire du site, des collections, ce qui a été mené sur les trente dernières années pour comprendre ce qu’il est possible ou non de faire », énonce Bastien Lopez (28 ans), qui a été recruté en tant que directeur du château royal de Blois au terme de sa formation à l’INP-INET, succédant ainsi à Élisabeth Latrémolière, partie à la retraite après plus de vingt ans en poste. Depuis janvier, il a pris la direction du monument très touristique (plus de 300 000 visiteurs par an), un incontournable parmi les châteaux de la Loire. « Ce qui est difficile, c’est de cumuler des missions scientifiques ou stratégiques, tout en consacrant du temps aux collègues. » Assumer des fonctions très diverses, qui dépassent le seul domaine curatorial : gérer l’administratif, la logistique, développer des partenariats… « Il faut vraiment toucher à tout, surtout lorsqu’on est une petite équipe », souligne Noémie Wavrer, qui vient de prendre la direction du Musée de l’Avallonais Jean Després (Yonne), après avoir passé le concours d’assistant de conservation. À 28 ans, elle prend les rênes de ce petit musée à la collection hétéroclite, qui accueille 4 000 visiteurs par an. « En arrivant, j’avais conscience que je ne pourrais plus garder beaucoup de temps pour la recherche. C’est un aspect qu’on doit mettre de côté en cas d’urgences administratives, lorsqu’il faut accueillir des groupes… » Car de fait, pour tous ces profils universitaires rompus à la recherche, se pencher sur l’aspect scientifique des collections devient une préoccupation de second plan, qui implique de réussir à dégager du temps. « Même si mes journées se terminent déjà très tard, je m’astreins à conserver une heure, voire deux si je le peux, à la recherche, aux œuvres, à la collection », soutient Barthélémy Etchegoyen-Glama qui, après un doctorat et plusieurs années d’enseignement, ne compte pas faire une croix sur la recherche. « C’est absolument essentiel. Être directeur de musée, ce n’est pas qu’un métier d’administrateur. »
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Les défis des jeunes directeurs de musées
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°658 du 20 juin 2025, avec le titre suivant : Les défis des jeunes directeurs de musées









